La fin d’un cycle
Tout a une fin. Après dix années, et exactement cent épisodes, vous ne verrez plus sur ce blog d’article annonçant la parution d’une nouvelle interview d’un X entrepreneur. La série poursuivra bien sûr son existence sur le site de la Jaune et la Rouge, mais sa conception est désormais confiée à un trio de rédactrices. À l’occasion de cette fin de cycle, j’aimerais revenir sur cette décennie particulière.
La genèse
Cette série n’est pas née de nulle part. Elle est apparue à la suite d’échanges que j’avais eus avec Michel Berry, vers 2013 ou 2014. Mon agence travaillait, à cette époque, avec l’AX (l’association des anciens de l’X) ainsi qu’avec l’incubateur qui était en train de se créer, devenu X-UP. Nous réalisions des sites sur mesure, nous apportions du conseil pour leur communication sur les réseaux sociaux, ce qui me conférait peut-être une image d’entrepreneur susceptible de parler auprès d’un public d’X plus jeunes que la moyenne des lecteurs de la Jaune et la Rouge. Or le sujet du rajeunissement de la communauté des anciens était d’actualité. On constatait à l’époque une érosion du lectorat de la revue, qui correspondait en fait à une perte d’intérêt des promotions sortantes pour ses contenus. Bref, il fallait rafraîchir et le site et son lectorat.
Ma petite équipe (Yann, Florian, Marie) avait rénové le site de la Jaune et la Rouge, en compagnie de feu Jean-Pierre Henry, qui en était son webmaster. Michel Berry m’avait donc proposé de tenir une rubrique sur l’entrepreneuriat, un sujet qui pourrait intéresser de jeunes X attirés par ce type d’activité.
À l’poque, j’étais abonné à l’hebdomadaire Time Magazine, et j’étais un lecteur assidu de l’interview publiée en dernière page, intitulée 10 questions. Je lui trouvais une dynamique particulière, passant d’un domaine à l’autre, des arts à l’industrie, de la science à la religion, avec des personnalités souvent étonnantes. La structure même de l’interview, toujours composée de dix questions souvent posées à la périphérie de l’activité de la personne interviewée, lui conférait une saveur particulière. Bref, j’étais fan.
Il ne me restait plus qu’à faire la synthèse des deux, et c’est comme cela que naquit la rubrique des 10 questions à un X entrepreneur.
La mise en oeuvre…
Encore fallait-il trouver des personnes à interviewer correspondant à la ligne éditoriale que je voulais donner à cette rubrique : des X qui avaient créé des entreprises, à des moments variés de leurs carrières, et qui seraient prêts à répondre sans langue de bois, ou sans message trop « formaté », pour ne pas lasser les lecteurs plus ou moins jeunes que j’espérais atteindre.
Première difficulté, trouver des X entrepreneurs. Bien qu’impliqué dans la refonte des outils de communication des « satellites » de l’École, je n’étais alors pas très impliqué dans l’association elle-même, et mes liens avec les anciens élèves – de ma promotion ou d’autres – étaient quasi inexistants. Je n’appartenais qu’à deux groupes X, X-Israel et X-Digital. C’est donc par ce dernier que j’ai trouvé mes premiers candidats, mes amis Avner Cohen-Solal et Eric Amram qui avaient créé Evenium (et dont Media Aces utilisait la solution de billetterie en ligne) et Yves Weisselberger, entrepreneur à répétition avec plusieurs belles réalisations.
Deux interviews, c’était pas mal, mais comment trouver les suivantes ? Deux pistes se sont immédiatement présentées à moi. La première, c’était l’incubateur, alors dirigé par Matthieu Somekh. Matthieu me mit en relation avec quelques X rencontrés via son réseau d’incubateurs, ainsi qu’avec Bruno Martinaud, que j’avais rencontré dans une autre vie, et qui s’occupait alors du master Innovation et Entrepreneuriat. Il m’invita à donner des cours de marketing digital auprès de jeunes X du master, appelés à créer leur start-up, comme Emeric de Waziers et Bertrand Joab-Cornu ou Timothée Rebours et Mehdi Kouhen.
Mais cela ne suffisait pas. C’est alors que je me mis à utiliser LinkedIn pour alimenter mon vivier. Une simple recherche, alliant des critères simples sur le poste occupé et la formation, me permit d’identifier des dizaines de candidats. Il me restait plus qu’à scruter le site de leurs entreprises pour me faire une idée de ce que pourrait apporter leur interview.
Au fil du temps, et avec un lectorat allant en s’amplifiant, de nouvelles pistes sont apparues. L’équipe éditoriale de la Jaune et la Rouge, notamment, n’a eu de cesse de m’alimenter avec des candidats plus ou moins intéressants. Je dois remercier ici Michel Berry, Hubert Jacquet, Robert Ranquet, Pierre Seguin et Alix Verdet, véritable poumons de cette rubrique, ainsi qu’Anne Bouvier qui a pris la succession de Jean-Pierre. Grâce à eux, j’ai pu tenir ce rythme incroyable, avec une belle régularité – pas un trou dans la raquette en dix ans – et même un buffer allant parfois à 5 ou 6 interviews d’avance par rapport au calendrier éditorial de la revue, ce qui n’allait pas toujours dans l’intérêt des entrepreneurs interrogés, certains préférant voir leur interview publiée au plus vite.
Retour sur dix années de contenus
Si l’accès aux interviews a longtemps été autorisée aux non abonnés du site de la Jaune et la Rouge, ce n’est hélas plus le cas depuis quelques années, les responsables de la Jaune et la Rouge ayant décidé qu’il valait mieux susciter le paiement d’ne cotisation pour autoriser la lecture, que permettre au contenu de la revue de toucher le public le plus large possible. J’en suis personnellement désolé, car pour moi, un tel magazine devrait servir de vitrine de l’école et de ses débouchés, plutôt que maintenir un entre-soi de la communauté. Mais c’est ainsi, et avec un peu de recul, je me dis que mon petit billet mensuel sur ce blog résumant le contenu des interviews, qui ne devait servir au début qu’à créer des liens dans une optique de SEO, a permis au final de donner un avant-goût de ces interviews.
La structure même des 10 questions… a évolué au fil du temps, un peu à l’encontre de mon idée originale. Je voulais, au début, partir dans tous les sens, comme dans Time Magazine, m’autoriser une grande variété de questions, qui pourraient n’avoir aucun lien avec l’activité de l’entrepreneur. J’ai été, disons… rattrapé par la patrouille, en l’occurence l’équipe éditoriale, qui a largement insisté, au bout de quelques interviews, pour instaurer un format récurrent : 5 questions identiques, et 5 questions libres. Au terme de ces dix années, je ne suis toujours pas convaincu de l’intérêt de ces 5 questions identiques (quelle est l’activité de l’entreprise, comment est venue l’idée, quel est le profil des fondateurs, quelles étaient les premières étapes et qui sont les concurrents).
De même, j’aurais adoré coller à la maquette de Time Magazine, un article d’une page seulement, en dernière page du numéro. L’équipe éditoriale en a décidé autrement, et l’interview apparaît dans les premières pages. Le français étant moins concis que l’anglais, ces interviews s’étalent en général sur deux pages, parfois trois si le sujet est vraiment intéressant.
J’ai aussi été confronté à la personnalité des X. Si certains savent raconter une histoire passionnante, d’autres sont un peu plus … ternes, ou disons plus mesurés sur leurs propos. Certaines interviews, avec le recul, me paraissent assez sèches, pour ne pas dire arides, et j’ai eu parfois du mal à les faire sortir de la langue de bois que je cherchais à éviter. C’est pourquoi on retrouve, dans certaines interviews, des propos qui relèvent plus de la communication institutionnelle d’une entreprise, que du partage spontané d’un entrepreneur passionné. Je n’y peu rien, et je pense que leurs propos, au final, désservent ces entrepreneurs trop rigides.
Il me reste, néanmoins, le souvenir de quelques textes étonnants, comme l’interview de Jérôme Giacomoni et Matthieu Gobbi, ou celle de Carl de Poncins, que je vous invite à relire.
Mais alors, pourquoi arrêter ?
Avec le temps, une certaine lassitude est apparue. J’avais le sentiment de reproduire le même schema, de tomber sur les mêmes domaines – la data et l’IA, sujets en vogue. Alors que la rubrique avait trouvé un lectorat régulier – il m’arrive de rencontrer des X qui me disent la lire chaque mois – il m’était paradoxalement devenu de plus en plus difficile de trouver des sujets originaux, malgré l’aide d’Alix et de Pierre. Bref, je n’avais plus la « niaque ».
Au fond de moi-même, je suis aussi convaincu qu’on doit toujours passer la main, qu’on soit journaliste, dirigeant ou simple consultant. Il faut savoir laisser sa place à d’autres individus, dotés d’autres critères d’analyse, ouverts à d’autres réseaux, et susceptibles d’apporter une dimension à côté de laquelle on est peut-être passé, sans le savoir.
J’espère que cette rubrique existera encore longtemps. Je suis certain que Dominique Valentiny, Géraldine Naja et Sarah Le Net sauront lui donner une nouvelle impulsion. Et je vous invite à vous abonner à la revue, ne serait-ce que pour découvrir le parcours de ces ingénieurs étonnants, qui préfèrent créer des entreprises plutôt que de gravir des échelons…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec