La devise de l’Ecole polytechnique pour les nuls
Pour les nuls, pas tant que ça…
par Serge Delwasse, X1986
Pour la Patrie, les Sciences, la Gloire. Cette devise que nous connaissons tous, avec laquelle nous avons joué lorsque nous étions à l’école (par exemple, la devise du BScKBL – lien réservé aux anciens – est « pour la partie, la panse, le boire ». un second exemple est donné dans un commentaire infra), que veut-elle dire réellement ?
Nous nous souvenons tous de ce discours interminable du général – par exemple ici, à partir de la minute 26 – qui, à chaque présentation au drapeau, et quel que fût ledit général, égrenait :
- « pour la Patrie, c’est parce que vous êtes militaires, et que la patrie vous offre votre formation, et que vous êtes l’élite de la France…
- Les sciences, c’est parce que les sciences c’est bien, et que vous êtes l’élite de la France…
- La gloire, au choix du DirCab :
- C’est parce que, élite de la France, vous devez faire de grandes choses pour ne pas gâcher votre talent – DirCab d’inspiration chrétienne ;
- C’est parce que, élite de la France, vous devez être désintéressés et que l’argent c’est mal – DirCab social tendance maoïste.
Interlude : un de mes relecteurs ne se souvient pas de l’existence d’un DirCab : c’est normal, ça date des années 90. A l’origine un lieutenant, le DIrCab est peu à peu devenu contre-amiral. aujourd’hui c’est un civil. C’est plus chic !
Revenons donc à notre devise. Entre nous, vous y croyez à l’un ou l’autre ou le troisième ? Moi pas. J’ai une autre compréhension de cette devise : c’est la Sainte Trinité – je ne vous donne pas le lien wikipedia, c’est incompréhensible – « au nom du Père ET du Fils Et du Saint-Esprit » ! C’est « Patrie, Sciences ET Gloire », non comme Liberté, Egalité, Fraternité. Il ne s’agit donc pas d’énumérer, mais de dire que ce sont bien les trois à la fois. Un de mes relecteurs me fait d’ailleurs remarquer que ça marche aussi avec « ein Volk, ein Reich, ein Führer ». C’est vrai, mais c’est de beaucoup moins bon goût. Tant qu’à faire dans le mauvais goût, il y a également Travail, Famille, Patrie. Le caractère ternaire des devises est en soi assez banal. Ce qui l’est moins, et qui est l’essence de la trinité, c’est quand les 3 items n’en font qu’un.
Revenons tout d’abord à l’origine. La tradition veut que la devise ait été proposée par le Maréchal Berthier, ministre de la guerre, à Napoléon en 1804. Berthier est un personnage fascinant, mais je ne suis pas certain qu’il ait eu le temps de réfléchir à une devise pour l’X. nous savons comment ça se passe dans les armées. Les chefs décident, mais les indiens conçoivent. Et puis Berthier a passé sa vie à faire la guerre, je doute qu’il ait eu la finesse d’esprit pour imaginer une telle devise. Je pencherais donc plutôt pour Lacuée.
On connaît Monge, on connaît Laplace, Lagrange, voire Prieur de la Côte-d’Or. On méconnaît Lacuée. C’est pourtant lui qui a militarisé l’Ecole, puis l’a dirigée pendant 10 ans. Dix ans c’est long. Cela permet de laisser une empreinte forte, voire indélébile. De manière surprenante, il n’apparaît pratiquement pas dans les histoires de l’X, y compris – surtout ? -dans celle de Fourcy. 3 fois en 400 pages ! Comme Moïse qui n’apparaît qu’une fois dans la haggada. C’était pourtant un humaniste, encyclopédiste et homme de lettres. Pas Moîse, Lacuée… Certes, Fourcy ne pouvait écrire ce qu’il voulait, Charles X censurait. Tout de même : S’il a ainsi quasiment omis Lacuée, c’est que Lacuée a dû avoir une importance considérable. Comme Moïse.
La devise en elle même est intéressante, par sa construction : Si vous visitez cette page passionnante de Wikipedia, qui liste de manière quasi exhaustive les devises de l’ensemble des formations des armées françaises, vous pourrez constater, en vous concentrant sur les unités les plus anciennes, qu’il y généralement deux modèles :
- la devise latine, souvent héritée du colonel propriétaire du régiment « Nunc leo, nunc aquila » (13ème Dragon)
- une belle phrase galvanisant les troupes : « On ne relève pas Picardie » (1er RI)
plus tard, on trouve des locutions choc, toujours binaires : « Etre et durer » (3ème RPIMa)
Enfin, vous avez la phrase descriptive : « Ils s’instruisent pour vaincre ». Aparté légèrement provocateur : d’une part je ne suis pas certain qu’ils soient réellement instruits ; d’autre part, je ne les ai pas vus gagner beaucoup de guerres… fin de la séquence « je me fais des copains chez les cyrards ».
Nulle part, on ne trouve cette trilogie. Sauf sans la devise du génie – hasard – « Parfois détruire, souvent construire, toujours servir », mais qui, elle, est plutôt sous la forme 2+1. Un peu comme « thèse, antithèse, synthèse » qui est, on le sait, la devise de SciencesPo.
La devise de l’X, n’en déplaise aux plus militaristes d’entre nous – dont l’auteur de ces lignes, n’est donc pas une devise militaire. exit Berthier. vive Lacuée !
D’où la Trinité. Il ne s’agit pas de choisir entre la patrie (je suis corpsard), les sciences (je fais de la recherche) et la gloire (je monte la startup), il s’agit de faire les 3 à la fois :
- Pour la patrie, c’est le travail pour la communauté :
- les sciences, c’est pour l’humanité:
- la gloire, c’est plus compliqué.
Avant, je pensais que la Gloire, c’était pour soi-même. Mais ça c’était avant. La définition de Gloire dans le Littré – j’en profite pour faire un peu de pub pour Reverso (voir aussi cet article), qui a été monté par un camarade – est intéressante : pour Lacuée, en 1804, la Gloire, ça n’était pas que la célébrité ou l’honneur. c’était bien un peu plus… On y trouve une dimension spirituelle. Et puis c’est toujours la gloire de quelque chose ou quelqu’un ; dans le cas présent, la gloire de qui ? la gloire de quoi ? Après la France et l’Humanité, il ne reste que Dieu.
Quel Dieu ?
Note 1 : ce billet d’humeur, par différence avec les précédents, est très peu backupé par des documents prouvant ce que j’avance. La faute au manque de temps. Je serais donc très heureux d’échanger avec mes lecteurs, en ligne ou par mail, en particulier avec ceux qui pourraient penser que je ne suis pas dans le vrai
Note 2 : la suite logique de ce billet est le papier – dans le cas d’espèce, il s’agira d’un véritable papier – sur les logos de l’Ecole. Manque de temps… Mais ça viendra. Je le dois à mes deux coauteurs, auxquels j’en profite pour présenter mes excuses
remerciements :
- à celui qui m’a donné envie d’écrire le papier
- à celui qui m’a convaincu de le faire
- à celui qui m’a aidé à l’améliorer
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A heavy weather skipper
Excellent papier, très instructif et sympa à lire. Concernant Reverso, je conseille le récent Reverso Context, qui est bluffant et qui offre même des applis pour smartphones et tablettes.
Très bien Serge !
Je vais y repenser après le rassemblement de deuil à Saint-Denis cet après midi.
Notre devise (l’officielle, pas celle de nos souvenirs inavouables : « Pour la Marie, les Sens et la Gaudriole », mais les jeunes du Plateau, pas celui de 421 de la Marie, ne connaissent pas la Marie et pensent que c’était un Bobar) est belle mais parfois difficile à expliquer, à justifier ou à assumer. Cet article porte bien son titre et va me faciliter la tâche, pas seulement pour la Gloire
merci Fred. C’est par modestie que je n’avais pas mentionné cette excellent ouvrage que vous avez eu la gentillesse de me demander de préfacer
Merci pour cet article interessant et amusant à lire 🙂
A noter que le terme de gloire, dans la bible en français, est la traduction d'un mot mot hébreu (khaled) qui signifie "ce qui a du poids", donc ce qui "vaut le coup".
Kavod plutôt que khaled. Faire l’X pour le kavod, voilà qui ne manque pas de charme.
Merci Jacques. J’ai essayé de ne pas faire un billet trop youpin, pour une fois… Et je ne suis pas convaincu que Lacuée connût l’hébreu.
Né à Paris, à deux pas de la Gare de Lyon (Boulevard Diderot), j’ai emprunté mille fois la rue Lacuée pour aller à pied au Lycée Charlemagne en traversant le bassin de l’Arsenal, sans imaginer qu’un jour j’arborerai sa devise. C’était la principale rue des péripatéticiennes du quartier de la Gare (en concurrence de proximité avec la rue de Lappe du quartier de la Bastille).
Historiquement c’était le chemin des Marais, puis la rue du Fumier et enfin une partie de la rue des Terres-Fortes en référence à la nature de ses sols. Cette rue déjà présente sur les plans du XVIIe siècle a pris, en 1879, le nom du général Lacuée (1774-1805), tué lors de la bataille d’Austerlitz, en raison de la proximité du pont d’Austerlitz.
Quant à la « gloire », nombreuses et simples définitions (sans aller jusqu’à « Gloria in excelsis Deo », qui n’a rien de spécifiquement youpin) et surtout une série culte (Amour, Gloire et Beauté) qui n’a pas non plus grand chose d’une devise militaire, mais qui est plus proche des dames de la rue Lacuée (quoique… il y en avait des vieilles et des moches).
s’il est mort à Austerlitz, ça n’est pas le « bon »
c’est gérard https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_Lacu%C3%A9e
Les trois LACUÉE natifs d’Agen :
– le « bon » : Jean-Gérard LACUÉE (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k367975/f134.item.r=lacu%C3%A9e.langFR)
– son frère : Marc Antoine Côme Damien Jean-Chrisostome LACUÉE (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k367975/f138.item.r=lacu%C3%A9e.langFR)
– celui de la rue : Gérard LACUÉE (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k367975/f139.item.r=lacu%C3%A9e.langFR)
Kaved (lourd) a effectivement la même racine que kavod (honneur).
Mais la gloire c'est plutôt tehila, de la racine hilel, qui signifie glorifier ou louer (cf. halléluia).
Merci pour cet excellent billet, tout en équilibre entre le sérieux et le recul drôlatique.
Permet aussi de reprendre un peu d’altitude dans une époque dont la devise est plutôt devenue : pour mon nombril, mon fric, ma gloriole…
j’aurais préféré « Pour la partie, la panse et la foire » (foire et gloire sont féminins)
Article intéressant.
Devise sur le même mode, celle de l’école des officiers de la gendarmerie nationale: ‘Pour la patrie, l’honneur et le droit’.
Jal,
Merci pour votre commentaire
L’EOGN a créé des traditions de toutes pièces dans les années 90. C’est ainsi que son uniforme de tradi est apparu – rassurez vous, la police a fait de même dix ans après. Il me semble – mais je peux me tromper – que la devise date de cette époque.
Vous noterez toutefois que le « me too » ainsi choisi laisse échapper la progression et le caractère spirituel de la devise de l’X. Il eût fallu, pour ce faire, prendre « Pour la patrie, le droit et l’honneur ». Le diable se niche dans les détails
Dans le même ordre d’idées, l’Association Polytechnique, créée sous la monarchie de Juillet, émanation très directe de l’école puisque composée, à l’origine, exclusivement d’anciens, avait choisi comme devise « Pour la gloire, la science et la patrie »…
Je ne connaissais rien à l’ X mais je voulais connaître la devise qui pour moi était gravée dans le marbre. Elle me paraissais parfaite. Mais je vois que l’élite polytechnicienne, à juste titre, réfléchi sans cesse sur le sens de cette devise. Sachez que je vous admire sincèrement.
Je vous laisse en gardant pour ma part cette devise intact afin de servir l’homme et le citoyen (?).
charles.dubel@gmail.com
Bonjour, et merci pour cet article.
Sans être X (nul n’est parfait, ou presque), j’avoue humblement avoir essayer de m’approprier cette devise, qui correspond, grosso-modo, à mes (-toujours- humbles) objectifs de carrière. J’ai travaillé dans le public et dans le privé, ainsi que dans des superpositions d’états public-privé, et j’avoue (deuxième aveu) que le fait de travailler pour ma patrie à toujours fait partie de mes critères de choix.
Une patrie aux larges contours, patriote mais pas xénophobe, étant de ces français d’adoption et de coeur (mon coeur vaillant fait le choix de la nationalité française à 18 ans, au prix de quelques années passées dans un département qui n’en est plus un et où il se passait quelques événnements, que l’on qualifiera plus tard de guerre). La France est l’idée de la France, ses valeurs universelles auxquels je demeure attaché… Notre Patrie qui est aussi notre planète… La science aussi, l’un des grands Amour de ma vie, une source de plaisir quasi divin, ces (rares) moments magiques où l’on comprend, où l’on découvre, où « ça fonctionne »… Sans doute difficile d’expliquer la lumière à un aveugle, sans doute difficile d’expliquer la science à un non chercheur ou à un non ingénieur, mais franchement, quel pied !
Et enfin la Gloire… Quelle immodestie assumée, mais oui, on travail aussi pour la gloire, pour ce bout d’égo que l’on peut mettre au service d’une cause en se disant « je sais que je vais y arriver, et je vais tout faire pour y arriver ». Peut-être aussi pour combler quelques blessures narcissiques intimes, chercher une reconnaissance, montrer qu’on le mérite, toutes ces petites piques qui font passer du « je sais que je peux le faire » à « je le fais », qui font sortir de la zone de confort où on a rien à démontrer… Et pour la gloire, aussi, dans le sens pour la gloriole, pour des clopinettes, juste pour montrer qu’on savait qu’on pouvait le faire, mais que le seul moyen de le démontrer, c’était de la faire. Par pour l’argent, pas pour l’utilité, pas « juste » pour la reconnaissance, mais aussi pour la frime. Pour pouvoir dire « non, ça n’était pas possible… mais je l’ai fait quand même ». Ce qui fait que l’on choisit les projets casse-gueule, pas les meilleurs projets pour la visibilité et pour la promotion, mais ceux où on sent instinctivement que ça va couter des litres de sang et de sueur, mais qu’on ne va pas s’ennuyer…
Bref, un petit homage à votre belle devise, qui vaut bien « amour gloire et beauté »…