L’affaire Pegasus
Est-il légal d’écouter les conversations numériques des autres ? D’un point de vue légal, la réponse est évidemment négative. Les individus, comme les organisations, n’ont pas le droit d’écouter ce qui se dit au sein d’une sphère privée. Et même au niveau d’un état, cela requiert des précautions particulières : il faut justifier de la nécessiter de procéder à de telles écoutes, pour la sécurité des individus ou des biens concernés par les conversations écoutées.
Est-ce moral ? La réponse est là encore négative, à l’échelle d’un individu ou d’une organisation. Mais à l’échelle d’un état, rien n’est moins sûr. La responsabilité principale de toute forme de gouvernement, c’est d’assurer à la population gouvernée a possibilité de vivre dans un cadre correct, en assurant à ses ouailles la sécurité, la santé, l’éducation et un tas de choses qui relèvent de ce qu’on appelle sobrement la civilisation. Et si cela implique d’écouter certaines conversations, par exemple entre des individus susceptibles de menacer l’équilibre de l’état concerné et l’avenir de ces ouailles, alors on peut comprendre que moralité et légalité passent au second plan.
Parfois cela suppose d’écouter ses amis. On n’est jamais trop sûrs de ses propres amis, de leurs relations, de leur pouvoir d’influence, ou de nuisance. Alors on se met à écouter ceux qu’on ne devrait même pas envisager d’écouter, en toute logique. Mais que voulez-vous, c’est humain, et c’est de bonne guerre. Croyez-vous vraiment qu’un état qui se respecte ne prenne pas de telles mesures même avec ses plus fidèles alliés ? La NSA a probablement porté sur le devant de la scène ce que bien d’autres états on fait de manière préventive. Avec un peu plus de discrétion, sans doute, et de manière plus artisanale.
La transformation majeure des 30 dernières années, qui a consisté à faire basculer nos conversation sur des réseaux numériques, a certes permis une explosion des usages, mais elle a aussi complexifié la manière d’écouter ces conversations. Elle est loin l’époque du 22 à Asnières. Écouter des conversations privées, cela suppose des techniques sophistiquées, soit pour intercepter le contenu de ce qui circule sur le réseau, soit pour prendre carrément le contrôle des terminaux utilisées. Bref, de pirater des smartphone. Pas simple.
Mais fort heureusement, la conception de logiciel est encore loin d’atteindre le niveau de qualité exigé dans d’autres secteurs. Autrement dit, dans presque tous les logiciels, il y a des failles. Pas forcément très grosses. Pas toujours simples à exploiter. Mais elles existent, et dans des logiciels aussi critiques que des systèmes d’exploitation. Ou des logiciels de communication. Et des équipes spécialisées dans la recherche et l’exploitation de ces failles, il en existe partout. Et l en existera tant qu’il existera des logiciels, c’est comme ça.
Quand ces équipes travaillent dans un cadre délictueux, il est de la responsabilité des états de mettre fin à ces actes. Quand elles travaillent au service d’un état, et a fortiori de l’état qui les héberge, dans un cadre militaire, c’est probablement illégal, mais ce n’est pas toujours immoral. Le problème, c’est quand ces équipes ont développé leur savoir-faire au service d’un état démocratique, et que ce savoir-faire est proposé, dans le cadre d’une relation commerciale, à d’autres structures, individuelles ou organisées.
C’est ce qui s’est passé dans le cadre de la société NSO. Un savoir-faire de pointe, développé au sein d’une équipe travaillant pour un état, dans un cadre défensif, est devenu un produit commercial, mis à disposition d’organisations dont le projet sociétal est peut-être moins noble que le projet sociétal des fondateurs.
Bref, il y a probablement eu erreur d’aiguillage.
Découvrez d'autres articles sur ce thème...
Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec