Joachim du Bellay rejoint le Cercle des Poètes Retrouvés
Les fans de la Pléiade et de Robbin Williams me pardonneront, je l’espère, ce jeu de mots un peu facile. Mais il faut bien reconnaître qu’identifier un poète décédé il y a plus de quatre siècles, à partir de très peu d’indices, cela méritait bien un titre hors du commun.
Back to the future
Petit retour en arrière, en classe de 4e ou de 3e si ma mémoire est bonne. On y découvrait, en parcourant les pages d’un livre assez épais, des poètes s’exprimant dans un français pas toujours simple à comprendre, avec des mots qui ressemblaient aux mots actuels mais où certaines lettres semblaient avoir été changées, un f à la place d’un s, ou un u à la place d’un v. Regroupés dans un collectif du nom de la Pléiade, Pierre de Ronsard et Joachim Du Bellay en étaient les représentants les plus célèbres. Jeunes adolescents appartenant à une génération non encore abreuvée de smartphones et de vidéos à la demande, nous apprenions par coeur tel poème qui comparait une mignonne à une rose (qui devrait jouir de la vie avant de se faner) ou tel autre qui parlait du légendaire Ulysse, qui fit un beau voyage (en bateau, avec quelques escales imprévus) et eut la chance de revenir sain et sauf (mais au bout de quelques années quand même, l’avion n’existait pas encore…), un poème qui paraît-il, vantait les mérites d’une vie casanière…
Et puis c’est tout.
On passait ensuite à d’autres auteurs du 16e siècle, mais de ce qu’il advint de Ronsard et de Du Bellay, on n’en savait pas grand chose. Tout juste pouvait-on croiser un collège ou une rue portant le nom de ces poètes disparus. Bien sûr, le progrès technologique aidant, et grâce à Wikipedia, on pouvait apprendre que Ronsard était enterré dans la crypte du Prieuré de Saint-Cosme, alors que Du Bellay était enterré à Notre-Dame.
Mais où dans Notre-Dame ?
C’était, semble-t-il une énigme.
Le premier membre du Cercle des poètes retrouvés
Et bien figurez-vous que cette énigme est sur le point d’être résolue. Tout cela, « grâce », si l’on peut s’exprimer ainsi, à l’incendie involontaire de Notre-Dame qui eut lieu il y a quelques années, au printemps 2019. Vous vous en souvenez surement, un incendie qui avait glacé d’effroi des millions de croyants et de franciliens, habitués au calme paisible de la silhouette de ce magnifique édifice, dont les plus grands artistes se sont inspirés pour alimenter une oeuvre littéraire ou cinématographique. Parfois par approche purement mercantile, d’ailleurs…
Les travaux entrepris depuis depuis cette date ont cependant permis plusieurs choses : d’une part, de relance la polémique entre les modernes et les anciens, sur la forme de la flèche ou la nature des vitraux du nouvel édifice. Et d’autre part, de mettre à jour deux sarcophages en plomb, l’un portant le nom de son occupant, un chanoine décédé en 1710. Mais le second gardait son mystère. Jusqu’à ce qu’une équipe menée par Éric Crubézy, archéologue et médecin au laboratoire d’anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse (Amis) de Toulouse, parvienne à identifier le défunt : Joachim du Bellay himself.
Incroyable, non ?
Sauf que cela soulève un tas de question dans mon esprit tourmenté : comment diable identifie-t-on un poète disparu, dont on n’a pas pu prélever l’ADN il y a 5 siècles et dont je doute qu’on soit parvenu à bien identifier la descendance ?
Pour cela, nos enquêteurs ont croisé plusieurs indices :
- d’abord, le lieu : on savait déjà que Du Bellay était enterré à Notre-Dame.
- ensuite, les traces de la maladie : Du Bellay souffrait d’une forme précise de tuberculose osseuse, qui laisse des séquelles visibles sur le cadavre des malades.
- enfin, la pratique du sport équestre : Du Bellay montait régulièrement à cheval, paraît-il, et le bassin du défunt indiquerait qu’il s’agit bien de la dépouille d’un cavalier.
Bon, c’est un peu maigre, et cela n’élimine pas la piste d’un chanoine anonyme, excellent cavalier, mort de tuberculose osseuse, à une époque postérieure à Du Bellay.
Mais cela fait un bon moyen de jeter un coup de projecteur sur la paléogénomique, un mot de quatorze lettres que vous puvez très bien placer au Scrabble (mais en plusieurs fois), et le travail de l’équipe du Pr Crubézy.
En attendant que la découverte soit définitivement confirmée, cependant, n’hésitez-pas à relire quelques poèmes de Du Bellay, dont je vous livre ci-après une retranscription du plus célèbre, piquée sur Wikipedia, histoire de vous rafraîchir les méninges (pour la version en français moderne, cliquer ici…)
Heureux qui, comme Vlyſſe, a fait un beau uoyage,
Ou comme ceſtuy là qui conquit la toiſon,
Et puis eſt retourné, plein d’uſage et raiſon,
Viure entre ſes parents le reſte de son aage !
Quand reuoiray-ie, helas, de mon petit uillage
Fumer la cheminee, et en quelle ſaiſon,
Reuoiray-ie le clos de ma pauure maiſon,
Qui m’eſt une province, et beaucoup d’auantage ?
Plus me plaiſt le ſeiour qu’ont baſty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux:
Plus que le marbre dur me plaiſt l’ardoiſe fine,
Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur Angeuine.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Super article, très intéressant.
Une variante, en hommage à ce poème :
« Heureux qui, comme une huître, oncques ne fait voyage,
Et n’a plume sur soi, pelage ni toison,
Et n’ayant de cerveau est pleine de raison
Qu’elle use oisivement tout au long de son âge.
Car les huîtres n’ont pas de bourg ni de village,
N’allument cheminée en aucune saison,
N’habitent aucun clos ni aucune maison,
Ni aucune province ou fief, place ou baillage.
Plus leur plaît leur séjour au couvercle ingénieux
Que des logis humains le style prétentieux,
Plus leur calcaire dur qu’architecture fine,
Plus l’île d’Oléron que le Quartier Latin,
Plus leur silence frais que tous nos baratins,
Et plus leur lieu marin qu’une boîte à sardines. »