Jean-Marie Le Pen
C’est marrant, mais le décès de Jean-Marie Le Pen fait resurgir dans ma mémoire une vieille chanson de Léo Ferré : Avec le temps, va, tout s’en va. C’est étrange, car le seul lien entre ce chanteur anarchiste et antimilitariste, et le leader politique d’extrême-droite disparu hier, c’est bien évidemment l’Algérie.
Avec le temps, tout s’en va. Avec le temps, une partie de la classe politique a fini par poser un regard plus modéré sur celui qu’on surnommait « le menhir », allant parfois jusqu’à le qualifier de visionnaire… Tout s’en va, oui, et surtout la mémoire nationale.
Antisémites and co.
Car s’il s’agit de parler de vision, alors disons le franchement, Jean-Marie le Pen n’était pas un visionnaire, mais plutôt un révisionniste, un sale type, qui fit une sale guerre, et créa un parti politique en compagnie d’anciens Waffen-SS. Jean-Marie le Pen était certes une personnalité politique à la longévité étonnante, mais c’était aussi l’auteur des pires calembours et des pires raccourcis historiques, de « Durafour crématoire » aux « chambres à gaz, détail de l’histoire ». Jean-Marie le Pen, c’était ce chef de parti qui organisait tous les premiers Mai une grande manifestation aux abords de la statue de Jeanne d’Arc, manifestation qui menaçait chaque fois de dégénérer en ratonnade ou en chasse au malchanceux qui ne plaisait pas aux standards physiques des supporters de Le Pen, et qui passait sur ce coin des quais de Seine ce jour précis.
Jean-Marie le Pen, c’était surtout cet individu à la mine patibulaire, qui soutenait les thèses révisionnistes de Robert Faurisson, et allait, comble de la tartufferie, soutenir Dieudonné durant ses shows rue de la Main d’Or, dans une sorte d’alliance antisémite qui préfigurait la reconfiguration actuelle de l’antisémitisme national, oscillant entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche.
Comment passer de 0,7% à 17,8% en 30 ans
Jean-Marie le Pen eut une chance inouïe dans les années 80. Son parti ne représentait qu’un faible pourcentage de l’électorat national, et il serait resté à ce niveau, celui d’une Arlette Laguiller d’extrême-droite si la gauche n’avait pas remporté la présidentielle de 1981. C’est l’accession de Mitterrand au pouvoir, qui ouvrit un boulevard à ses idées, en faisant de la publicité certes négative, mais de la publicité quand même, à cet épouvantail. Emmanuel Macron n’a rien inventé, et a repris la même logique : votez pour moi, de peur que le grand méchant loup du RN ne l’emporte.
Jean-Marie le Pen ne connut, cependant, qu’un seul moment de gloire : celui de la présidentielle de 2002, lorsqu’il accéda au second tour de la présidentielle, face à Jacques Chirac. La « déjospinisation » de la politique française venait de commencer… Tous ceux qui ont vécu ce moment étrange se souviennent encore aujourd’hui de ce qu’ils faisaient ce jour-là, et de ce que furent leurs impressions. Pour ma part, j’étais dans un taxi qui m’emmenait vers l’aéroport Charles de Gaulle. Le chauffeur, un franco-tunisien, était affolé, et s’entretenait avec son frère au téléphone, évoquant un retour rapide en Tunisie. Pour ma part, j’arrivais le lendemain en Israel – je travaillais alors une semaine sur deux chez SmarTeam – et je me souviens encore de toutes les visites que je reçus au bureau ce matin là, comme une forme de soutien dans ce qui était en train de se passer en Europe aux yeux des israéliens pourtant plongés dans la seconde intifada, un retour du nazisme sous la forme d’un septuagénaire borgne et blond.
C’était bien évidemment un peu trop tôt pour parler de résurgence du nazisme. Le « front républicain » qui prit forme en ce mois de mai 2022 balaya les espoirs immédiats du président du Front National. Et il fallut que sa fille lui succède une décennie plus tard, pour que la métamorphose du FN en RN ait lieu. Une métamorphose qui, si elle avait eu lieu quinze années plus tôt, sous l’impulsion de Bruno Mégret, lui aurait peut-être permis d’envisager une autre suite.
Visionnaire de mes deux
Car si Jean-Marie Le Pen était doté d’un certain talent de tribun, il était un piètre stratège politique, anéantissant d’ailleurs par ses petites phrases toute chance de succès durable. Le coup d’accélérateur que proposait Mégret, en investissant bon nombre d’associations, clubs et groupes de réflexion hors de tout soupçon de racisme, esquissait la dédiabolisation que Marine Le Pen s’empressa de mettre en place, lorsqu’elle prit les rennes du parti. Le résultat est là, le RN est probablement le premier parti de France, et peut faire tomber le gouvernement à tout moment, en s’appuyant sur des députés LFI qui ne comprennent pas (ou font semblant de ne pas comprendre) qu’il font le jeu de leur supposé adversaire, et une gauche modérée dont on se demande si elle est encore dotée d’intelligence humaine (à défaut d’artificielle…).
Sauf coup de théâtre majeur, on voit mal ce qui pourrait empêcher l’un des représentants du Rassemblement National, Jordan Bardella ou Marine le Pen (selon ce qu’il adviendra de la condamnation de cette dernière à cinq années d’inéligibilité) de profiter de cette dédiabolisation, et de remporter la prochaine présidentielle.
Mais cette victoire, Jean-Marie le Pen ne la verra pas.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
En matière de « pires calembours et pires raccourcis historiques », le menhir a un successeur : celui qui a dit, entre autres « Madame Braun-Pivet campe à Tel-Aviv ».