It’s the education, stupid !
Lors de la campagne qui l’opposait à Georges H. Bush en 1992, l’équipe de Bill Clinton avait mené sa campagne sur un slogan, élaboré par son conseiller James Carville (rien à voir avec mon ancienne associée, Myriam) : It’s the economy, stupid ! L’idée était alors de rappeler au président qui avait mené la guerre du Golfe du début des années 90 contre l’Irak, qu’on ne remporte pas une élection présidentielle sur la base de victoires militaires à 15 000 km de la capitale, mais en tenant compte des inquiétudes et des préoccupations du peuple américain.
Un an après le début de la crise sanitaire due au Covid-19, et un an avant les élections présidentielles de 2022, j’ai l’impression que l’exécutif s’est approprié ce même slogan, à un bémol près : l’économie a laissé la place à l’éducation. En soi, ce n’est pas un problème. Le modèle français s’est construit, Jacques Attali le rappelle souvent, sur la gratuité de l’accès aux soins et à l’éducation, tout en revendiquant – en même temps, comme dirait le président – proposer aux français une médecine et un cursus scolaire de grande qualité. « C’est pas cher, et en plus c’est de la première qualité », c’est un peu cela le paradoxe national.
Hélas, ce modèle-là semble avoir vécu. L’accès gratuit aux soins essentiels est respecté, mais au prix de sacrifices énormes sur le fonctionnement de l’hôpital, qui d’année en année, voit ses moyens réduits. De services fermés en réduction du nombre de lits, et jusqu’à l’épuisement des équipes, on a de plus en plus de mal à croire en la sanctuarisation de la santé. Qui plus est, le public français a pu découvrir avec effarement qu’en matière de laboratoires pharmaceutiques et de recherche médicale, nous n’étions plus qu’un acteur de deuxième catégorie. Qui aurait parié sur la mise au point d’un vaccin russe contre le Covid avant presque tout le monde ? Qui avait compris, avant la crise sanitaire, que la mise au point de médicaments passait, comme pour beaucoup d’autres produits, par une fabrication à l’étranger, au mépris de l’indépendance nationale sur des sujets aussi stratégiques ? Une médecine gratuite, certes, une médecine mal en point, malgré tout le respect qu’on lui doit.
Et que dire de l’éducation ? Au prétexte qu’il ne fallait pas perturber le cursus scolaire de millions d’élèves, on a laissé les écoles ouvertes, ces derniers mois, en jouant sur d’autres mesures pour ralentir la diffusion du virus : couvre-feu, confinements locaux, entre autres. Mais la situation ne pouvait pas durer éternellement, et le couperet est tombé hier : télé-scolarité et vacances anticipées pour nos rejetons, et ce durant quatre semaines. Mais ne soyons pas dupes : ce n’est pas cette mesure moyenne qui changera la donne. Prenons les paris, d’ici quatre semaines, la diffusion du virus n’aura pas suffisamment ralenti pour rouvrir les établissements scolaires, et l’enseignement à distance risque de se prolonger encore un peu plus.
Ce faisant, on oublie qu’avec les gosses à la maison, les foyers français ne sont pas dans les meilleures conditions pour travailler, même pour les entreprises qui peuvent faire travailler à distance. Sans oublier les salariés qui, eux, ne peuvent pas travailler à distance, et vont devoir se poser des questions existentielles sur le mode de garde en période de pandémie. Et sans oublier que les disparités de niveau ont plutôt tendance à s’accroître lorsqu’on bascule en distanciel. Le décrochage pend au nez de milliers d’élèves et d’étudiants.
Certes, on pourra objecter que comme tous mes compatriotes, je me suis installé dans un rôle du râleur professionnel : pas plus content quand les enfants sont à l’école et participent à la diffusion du virus que quand ils sont à la maison et empêchent leurs parents de télé-travailler. C’est qu’à mon sens, ce gouvernement semble vouloir réparer une fuite en posant un scotch sur un tuyau percé : on sait bien que ça ne tiendra pas. À un moment, il faut remplacer le tuyau, c’est à dire chercher un remède qui ne traite pas les symptômes, mais l’origine du problème. Et l’origine du problème, elle n’est ni à l’école, ni à l’hôpital.
Elle se trouve malheureusement au sommet de l’état. Cela fait un an que cette pandémie dure. Un an, c’est long. Même en comptant l’effet de surprise des premiers jours de la crise – pour lequel j’éprouve un fort mépris, il était évident, courant février 2020, que cela allait nous tomber sur la tête – même en comptant l’impréparation et l’impéritie des premières annonces, comme l’inutilité des masques, cela laissait plus de 300 jours pour anticiper, et prendre des mesures d’un tout autre ordre.
En se cachant derrière l’inefficacité de Bruxelles, ou le cynisme de certains laboratoires, le gouvernement ne fait que démontrer son impuissance, là où justement, le public attendrait de la force et du courage, une forme de conviction qui va au-delà des mots et des effets PowerPoint lors des allocutions à 20h. La mondialisation qui fait notre quotidien, nos permet de juger du traitement de la crise par d’autres états. Comme la campagne de vaccination en mode blitzkrieg – ou guerre des 6 jours, je vous laisse le choix – qui s’est déroulée en Israel. Ou comme le confinement à la dure, imposé en Chine dans toute zone où le virus circule. Ou le blocus mis en place par d’autres pays asiatiques. Ou encore les moyens mis par la Russie ou les Etats-Unis dans la course au vaccin. Ou le confinement strict mais limité dans le temps, comme au Royaume-Uni.
Paradoxe des temps modernes, à l’heure où le gouvernement a voulu légiférer pour combattre l’enseignement à domicile et ses dérives, nous voilà plongés de nouveau dans un huis clos familial, pour lequel on va souhaiter bien du courage aux parents de tout poil.
Confiner les enfants, mais pas leurs parents, quelle bonne idée, n’est-ce pas ?
En attendant la suivante.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec