Il y a 20 ans, Yitzhak Rabin
Il y a 20 ans, Yitzhak Rabin était assassiné au sortir d’une manifestation pour la paix. Je m’en souviens comme si c’était hier.
Je me souviens de ce matin de novembre, où j’étais parti courir avec Aaron et Raphaël, sans avoir écouté les news. C’était Aaron qui m’avait annoncé la nouvelle. J’étais estomaqué: ils avaient osé.
Je me souviens qu’en entendant la nouvelle, je m’étais remémoré l’été précédent, le mois d’août 1995, que j’avais passé en Israël, et que la campagne de dénigrement contre Rabin, orchestrée par la droite israélienne, Netanyahou et Sharon en premier, m’avait choqué par sa violence, et les termes et les symboles qu’elle véhiculait. Je me souviens de l’avoir vu parodié en uniforme nazi, couvert d’insultes. Je me souviens m’être dit que ça ne sentait pas bon, déjà.
Je me souviens des news, à la télévision, au lendemain de sa mort. Du nom de l’assassin, Ygal Amir, de sinistre mémoire. Des théories qui ont suivi son assassinat, plus rocambolesques les unes que les autres. Selon l’une d’elle, l’attentat aurait dû s’effectuer avec des balles à blanc, pour porter Rabin en héros, mais les manipulateurs avaient été manipulés; quel crétin a pu produire une théorie aussi fétide.
Je me souviens de la stupeur qui s’était emparée de la planète en général, et des communautés juives en particulier: ainsi donc, un juif pouvait tuer un juif en dehors des crimes de droit commun. C’était faire peu de cas de l’assassinat d’Arlozorov, soixante ans auparavant. Oui, des juifs ont pu tuer d’autres juifs pour des motivations politiques.
Je me souviens de la satisfaction à peine déguisée de ceux qui, sans encenser Amir, considéraient à demi-mots que Rabin n’avait eu que ce qu’il méritait. Qu’il était allé trop loin avec les Palestiniens – mais peut-on aller trop loin en direction de la paix? Qu’on lui avait reproché cette poignée de main, avec un ancien chef terroriste – mais avait-on oublié que Shamir ou Begin, eux-mêmes, avaient été les leaders de mouvements de libération?
Je me souviens du déchirement du camp de la paix. Des chansons qui ont suivi peu de temps après, du disque sorti pour célébrer sa figure, celle du soldat qui allait orchestrer la paix, Shalom Haver. Je me souviens de cette chanson, Shir lashalom, que nous chantions depuis les accords d’oslo, en nous disant que oui, la paix était enfin possible.
Je me souviens de ses funérailles, le lundi qui suivit. Je me souviens de sa veuve, Leah Rabin. Je me souviens du cortège des chefs d’état, de la cérémonie, retransmise à la télévision, sur plusieurs chaînes. Je me suis dit que c’était rare de voir les funérailles d’un juif à la télévision.
Je me souviens des mois qui ont suivi, de sa succession par Shimon Pérès, qui fut aussi piètre premier ministre qu’il était fin diplomate; de la lamentable opération au Liban qui suivit, et de l’accession de Netanyahou au pouvoir, au terme d’une folle nuit électorale, lors de laquelle Pérès s’était couché vainqueur, pour se lever battu.
Je me souviens que les choses ne furent plus jamais les mêmes, par la suite. Que l’arrivée d’un autre soldat au pouvoir, Ehud Barak, fut considérée comme un nouvel espoir de paix, mais que celui-ci fut déçu. Qu’une deuxième intifada vint ensanglanter la région pendant deux longues années. Que Sharon fit ériger une muraille de séparation, qui mit fin au bain de sang, mais qui sépara les peuples pour longtemps.
Je me souviens d’une chose, finalement: c’est qu’il n’y a pas eu d’homme politique aussi courageux dans cette région depuis vingt ans.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec