Hors normes
Depuis une quinzaine d’années, Eric Toledano et Olivier Nakache alimentent le cinéma français en films souvent puisés dans leur propre parcours, toujours touchants, et qui offrent un regard paisible mais sans compromis sur certains aspects de notre société. Qu’il s’agisse de sujets délicats comme la prise en charge des personnes handicapées ou l’intégration des migrants, ou bien de sujets plus légers comme les colonies de vacances ou l‘organisation d’une grande fête familiale. Cet automne, le duo revient avec un film présenté à Cannes, Hors normes. Il traite une fois encore d’un sujet qu’on a rarement l’habitude de voir au cinéma: l’autisme.
« Autiste, auteur, vous ne seriez pas un peu cousins? »
Enfin, quand j’écris rarement, comprenons-nous: j’appartiens à la génération qui a vu Rain Man au cinéma et non à la télévision, et je reconnais bien humblement associer l’autisme au jeu parfois caricatural et parfaitement léché de Dustin Hoffman. D’autres films, principalement produits aux États-Unis, qui traitent du même sujet, sont sortis par la suite. Avec Hors normes, on entre pour ainsi dire dans une autre dimension. Car contrairement aux autres films sur l’autisme, centrés sur la relation familiale de l’enfant autiste avec ses parents ou ses frères et soeurs, Hors normes s’intéresse, lui, à la prise en charge des enfants souffrant d’autismes lourds, dans le cadre d’associations dont on découvre le quotidien, entre grandeur et misère. Grandeur du projet et de l’investissement humain, de la qualité d’âmes de celles et ceux qui s’y impliquent et y sacrifient leur vie privée. Misère des moyens dont elles disposent, et du regard que portent parfois sur elles, les pouvoirs publics.
Une histoire… hors normes!
Hors normes, dont l’histoire est, comme on dit, tirée de faits réels, le parcours de de gars vraiment hors normes, Daoud Tatou et Stéphane Benhamou, interprétés par Reda Kateb et Vincent Cassel. Elle expose l’activité des deux associations qu’il dirigent. La première, La voix des justes, est menée par un juif orthodoxe qu’on devine proche du mouvement loubavitch, et s’occupe de la prise en charge de ces autistes dont aucune association agréée ne veut s’occuper. La seconde, L’Escale, est dirigée par un arabe musulman qu’on devine issu de milieux défavorisés en proche banlieue, et s’occupe de l’insertion de jeunes en grande difficulté, en leur offrant une chance de se reconstruire au travers de la mission qui leur est confiée: devenir le référent d’un des enfants suivis par la première.
Au travers du parcours d’un enfant particulièrement difficile, et de l’arrivé d’un nouveau référent, Hors normes nous fait découvrir le quotidien d’une prise en charge toujours difficile. Toute la force du scenario réside sur cette synergie étonnante entre les deux associations, leurs responsables réellement hors normes, tout comme le sont leurs « protégés ». Et comme vous l’aurez sans doute appris en lisant l’une des multiples interviews diffusées depuis quelques jours, on comprend le défi que représente un tel film quand on sait que la troupe qui l’a joué est composée pour une grande partie d’individus eux-mêmes atteints de ces mêmes troubles, et qui ne sont pas des acteurs professionnels. J’avoue avoir tenté, tout au long de la projection, de deviner qui est acteur professionnel, et qui ne l’est pas.
Admirable film, donc, qui ne tombe jamais dans le sentimentalisme, et dont on ne peut faire qu’un seul reproche, celui de finir peut-être sans autre conclusion que « le combat continue ». Ni espoir démesuré, ni défaitisme absolu, seule subsiste la notion du devoir accompli. C’est aussi l’occasion de redécouvrir un Vincent Cassel, toujours aussi bon dans le rôle d’un juif qu’il ne l’est pas …
Enfin !
Cerise sur le gâteau, dans une France qui se déchire autour du port du voile, des agressions verbales à longueur de tweets et d’une relation de mépris vis à vis des différentes formes de pratiques religieuses, Hors normes apporte une bouffée d’air frais. Oui, on peut vivre en France pleinement investi dans ses pratiques religieuses, sans soulever une montagne d’indignation à chaque fois qu’on montre sa kippa ou sa tête voilée. On ressort de ce film à la fois bouleversé et songeur, en se disant qu’on aimerait bien voir les animateurs des débats à l’emporte-pièce qui polluent notre quotidien, se retrousser les manches, et venir aider des associations telles que celles présentées dans le film.
Et faire leur ce précepte, tiré des Maximes des Pères. « Parle peu, agis beaucoup« .
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
J’espère que le film est à la hauteur du commentaire.
(De mon enfance sans télévision, qui me faisait voir les films du dimanche soir par les yeux de mes camarades, le lundi matin, je préfère toujours écouter parler d’un film que le voir.)
Une suggestion pour le financement des foyers d’autistes. L’aide de ceux qui ont réussi, à ceux qui sont en difficulté. Apparemment, les génies seraient quasi autistes, peut-être aussi les entrepreneurs. Ce qu’explique Rain man : les autistes ont une capacité à se concentrer exceptionnelle (de compter les gouttes d’eau). Ce qui est atout pour les affaires ou les études.
Merci Christophe. Je pense que tu parles des cas d’autisme dit « Asperger ». ici, il s’agit de forme beaucoup plus difficiles, qui empêchent toute intégration sociale en raison de la violence qui s’en dégage. Peu d’entre eux – y en a-t-il ? – « réussissent », au sens commun du terme. C’est tout le propos du film.
Justement, solidarité entre autiste qui réussit, et autiste qui rate !