Paradoxales grandes écoles
Le débat sur les grandes écoles, ce n’est pas encore un marronnier, mais cela en prend singulièrement le chemin. Le débat sur la diversité au sein des grandes écoles revient en effet de manière régulière dans l’actualité, avec en général le même leitmotiv : l’accès aux grandes écoles ne s’est toujours pas démocratisé. Quatre études publiées sur le site du ministère de l’enseignement supérieur viennent appuyer ce constat. Elles démontrent, avec moult données numériques, ce qu’on sait déjà : les milieux sociaux favorisés sont surreprésentés au sein des grandes écoles, ainsi que les populations issues de la région parisienne.
Étonnant ? non.
Faut-il s’en étonner ? Je ne le pense pas. Intégrer une grande école n’est pas une décision qu’on prend à la légère, la veille de l’ouverture de Parcoursup. Le rythme soutenu d’une classe préparatoire demande qu’on lui consacre le même type d’efforts et de sacrifices qu’une carrière sportive de haut niveau. Imagine-t-on devenir un judoka ou un sprinter de haut niveau en 6 mois ? Non, évidemment. Il faut s’y préparer plusieurs années à l’avance, psychologiquement d’abord, et avec le minimum d’encadrement à la fois familial et éducatif.
Cela suppose des infrastructures, non pas matérielles, mais intellectuelles, des enseignants capables d’inculquer dès le collège l’envie de se confronter avec des matières scientifiques en allant au-delà de ce que les programmes actuels enseignent. Un tennisman amateur joue de temps en temps. Un tennisman qui veut entrer sur le circuit professionnel joue tous les jours. Et encore, dans le tennis, peut-on se réjouir qu’avec le temps, à âge égal, le niveau des joueurs progresse. En mathématiques, hélas, j’ai réellement le sentiment que c’est l’inverse. Dans les années 70, on enseignait par exemple la représentation des nombres en base 2 ou 3 ; de nos jours, on n’a l’occasion de s’y confronter qu’en option informatique ou après le bac. De même, on abordait des rudiments de théorie des ensembles au collège. De nos jours, il faut attendre les classes préparatoires pour aborder de tels sujets.
J’entends déjà des voix rétorquer que c’est justement pour favoriser l’accès de ces filières d’élites au plus grand nombre qu’on a allégé le niveau des programmes et de l’enseignement en mathématiques. Certes, et bien on voit désormais le résultat : les milieux aisés, qui peuvent abreuver leur progéniture de cours particuliers pour combler les déficiences, sont désormais surreprésentés. Alors que les milieux défavorisés, eux, doivent se contenter d’un enseignement tellement dégradé, que la place de la France aux divers classements réalisés pour mesurer le niveau en maths des élèves de 4e.
Paris, centre du monde
La dégradation des programmes n’est pas seule en cause. Les rapports diffusés par le ministère rappellent la disparité entre élèves franciliens et élèves de province. Grosso modo, si vous voulez avoir une chance d’intégrer, mieux vaut passer par une prépa parisienne que par une prépa de province. En cause, la trop forte concentration de prépas en Ile de France. S’agit-il d’une cause ou d’une conséquence ? Ouvrir une classe prépa de haut niveau à Brive ou à Calais n’est pas chose facile. Il faut recruter des enseignants de bon niveau, qu’ils acceptent de s’installer en province. Il faut également trouver des élèves d’un niveau suffisant pour suivre un enseignement de classe préparatoire, ce qui est par définition plus difficile dans des régions de densité inférieure à celle de la région parisienne. Pire, avec les classements annuels publiés par les différents magazines qui font leurs choux gras sur le classement des grandes écoles, on accentue ce phénomène d’exode. Pourquoi inscrire vôtre enfant dans une prépa de faible niveau à Brive s’il est suffisamment bon pour légitimement postuler à Louis le Grnd ou Ginette ?
Et ce n’est pas en instillant une dose de discrimination positive – quel terme abominable – qu’on parviendra à redresser le tir. Ce canal propulse des élèves qui n’ont parfois pas le niveau pour suivre dans un univers pour lequel ils n’ont pas été préparés, de la même manière que dans le sport ou la musique : croyez-vous que votre enfant qui joue au foot une ou deux fois par semaine aurait une chance de briller à l’insep, face à des gamins qui jouent tous les jours et se préparent psychologiquement à intégrer de grands clubs nationaux ? Je le dis et le répète, c’est en élevant le niveau très tôt qu’on a des chances d’identifier des talents, pas par tirage au sort.
Une femme, c’est un homme…
Reste un cas particulier, celui de la surreprésentation des garçons – ou de la sous-représentation des filles – dans les filières scientifiques (car dans les grandes écoles de commerce, ce n’est pas le cas). On se heurte là non à un problème de niveau – à âge égal, il n’y a pas de disparité intellectuelle entre une jeune fille ou un jeune homme d’un bon niveau en maths ou en physique – mais à un problème de préjugé sur ce type de filière. Dans l’imaginaire collectif, une femme aura plus de chances de s’épanouir via un métier accordant plus de place à l’échange ou au contact humain, d’où la prédilection pour les métiers de la communication ou de la santé. Bien évidemment, c’est un leurre. J’ai croisé, durant mon parcours professionnel, d’excellentes femmes ingénieures, parfois bien plus brillantes que leurs collègues masculins, comme Nathalie Irvine (ex DSI de Dassault Systèmes et désormais en charges des partenariats Office 365 chez Microsoft) ou France Bonnouvrier, qui gérait le premier parc de stations de travail chez DS. Ou encore Tanya Epstein, ex VP R&D de SmarTeam et actuellement en charge de l’évaluation de start-up au sein du Chief Scientist Program en Israel. Et encore, je ne vous parle pas du milieu familial (ici et là)… À chaque fois, je crois, l’influence du milieu familial a été importante. Loin d’être dévalué, pour ces femmes là, un parcours d’ingénieur ou de scientifique a toujours été un modèle auquel on leur a prouvé qu’elles avaient accès.
Réduire les disparités à l’entrée des grandes écoles, cela ne peut se produire que par un renforcement des structure éducatives, à l’école et à la maison. Les grandes écoles ne sont qu’un révélateur des fractures de notre société. Au lieu de se préoccuper des conséquences, il est temps de s’intéresser aux causes.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Tout à fait d’accord !
Peine perdue. Ce qui est ennuyeux, c’est que les gens qui nous instillent ce mode de pensée n’ont rien pour eux qui fait qu’on les puisse les admirer : accomplissement professionnel, érudition, puissance de réflexion. Ils sont tous issus de l’université généraliste qui délivre de faibles diplômes avec un niveau d’investissement assez faible (mon cas par exemple)