Fonctionnaire de France
Sous ce titre un peu étrange se cache le récit autobiographique du parcours professionnel de Jacques Bongrand, dont j’ai déjà relaté les mérites du livre de prospective Les chemins de la Défense il y a quelques mois. Un peu dans le même style que My life as a quant, mais dans un domaine totalement différent – l’un est un physicien tombé par hasard dans la finance, l’autre est un X resté toute sa vie fonctionnaire – Fonctionnaire de France retrace les aléas et les vicissitudes d’un parcours professionnel choisi, mais différent de ce à quoi l’auteur s’attendait à la sortie de ses études.
Au service de l’État
Major de sa promo, Bongrand aurait pu choisir un tout autre parcours que celui qu’il a mené. Mais une passion précoce pour l’univers de la défense l’a poussé à s’orienter vers le corps de l’armement. Il devient donc fonctionnaire. S’en suit une succession de postes à différents niveau de responsabilité, dans des structures de pilotage ou de supervision de grands programmes, et des univers variés, allant des propulseurs aux hélicoptères comme le NH-90, et même jusqu’à un cabinet ministériel durant la seconde cohabitation et un poste rattaché à l’OTAN.
On pourrait croire qu’un tel parcours serait lisse, presque tracé à l’avance. Il n’en est rien. Tout comme dans le monde de l’entreprise, l’avancement ne se produit pas toujours au mérite. Les rapports humains, les affinités, les évaluations individuelles entrent en ligne de compte. Sans oublier les enjeux de classement ou d’ancienneté dans le grade. Bref, un parcours de haut fonctionnaire n’est pas forcément une voie exempte d’embûches.
Le livre foisonne de mille détails, à croire que l’auteur a conservé des traces de tous les projets, ou presque, qu’il a pu mener en près de 40 ans de carrière. Les années les plus récentes sont les plus détaillées, les souvenirs des événements relatés étant probablement encore plus frais, notamment les 6 années passées au sein de la région Lorraine, à aider des entreprises technologiques à bénéficier de subventions pour leurs programmes de recherche.
Le parcours de Jacques Bongrand est loin d’être sans intérêt, notamment dans un monde où l’importance du financement de la recherche est devenu si primordial. Il n’y a qu’à voir ce que cela a pu donner aux Etats-Unis, notamment au travers d’agence comme la Darpa. Ce que laisse transparaître ce livre, pour un lecteur qui, comme moi, connaît assez mal ce milieu de hauts fonctionnaires, c’est peut-être l’opacité des liens entre les différentes structures au sein desquelles évoluent de tels fonctionnaires. On est parfois perdu, notamment durant les premiers chapitres, entre les différentes directions et les rapports qu’elles entretiennent. Existe-t-il un organigramme ? L’auteur aurait peut-être intérêt à en fournir un pour que le lecteur s’y retrouve.
En toute discrétion
Le seul regret qu’on éprouve, en refermant ce livre, c’est peut-être le souci d’extrême discrétion qui anime l’auteur, un souci déjà relevé dans son précédent livre, et sa volonté de ne citer aucun nom. Je peux le comprendre pour les pus proches de ses collaborateurs ou de ses interlocuteurs. On nage, après tout, dans un univers sensible. Mais pour certaines personnalités croisées, c’est un peu exagéré. On sait très bien qui fut ministre de la Défense entre 1993 et 1995 ou entre 2007 et 2012. Emanuel Berman, dans le livre cité plus haut, n’avait aucun scrupule à citer les noms des collègues croisés durant les trois décennies couvertes par son livre – certains sont devenus des vedettes dans leur domaine.
Au final, voici un livre qui intéressera les jeunes ingénieurs de l’armement, qui se posent des questions sur leur avenir, tout autant que les lecteurs les plus communs, qui s’interrogent sur la vie et l’oeuvre des fonctionnaires, au service de l’État.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec