Family Business
L’humour a toujours fait partie du patrimoine culturel du peuple juif. Peut-être par ce que le plus grand blagueur, depuis la nuit des temps, est le très puissant lui-même, celui qui a promis à Abraham une très grande descendance, en commençant par lui demander de lui sacrifier son fils… Ou bien simplement parce qu’à force de prendre des coups sur la tête, la seule manière de continuer d’espérer, c’était de prendre les choses avec du recul…
C’est pourquoi je ne suis jamais étonné de voir éclore de nouveaux humoristes juifs, ou sortir au cinéma de nouvelles comédies axées sur les histoires, les travers ou les supposées caractéristiques de mes congénères. D’Un violon sur le toit à Rabbi Jacob, de La vérité si je mens à Coco, on a pu voir au cinéma des films plus ou moins réussis, plus ou moins drôles, plus ou moins tragiques, décrivant la vie d’un petit groupe de juifs, du shtetl ou du Sentier, de plus en plus souvent d’origine séfarade, ces dernières années. Family Business relève de cette catégorie là, en se focalisant sur une famille de bouchers, les Hazan. Mais arrive-t-il à la hauteur de certaines des oeuvres citées précédemment ?
À la découverte du pastraoui
Difficile de répondre de manière tranchée. Family Business, et son acteur principal, Jonathan Cohen, renouvellent ce style de comédie d’inspiration juive, en plongeant ses protagonistes dans une actualité des plus crues : l’univers de la drogue et la dépénalisation du cannabis. L’intrigue – sautez ce paragraphe si vous ne voulez pas la découvrir de suite – est basée sur une idée, en effet, très originale : lassée par l’activité professionnelle de leur père, dont ils considèrent l’avenir limité (peut-être à tort…), les enfants du propriétaire d’une boucherie cachère se lancent dans la vente de cannabis…
C’est parfois très drôle, reconnaissons-le. L’humour réside, bien évidemment, dans la confrontation des deux mondes, l’univers d’une famille juive encore attachée à ses valeurs traditionnelles, et qui a du mal à se défaire de ses références culturelles (merguez, pkaila et autres couscous boulettes), et du trafic de stupéfiants, aux ramifications multiples, avec sa violence, ses perversions, mais aussi son implantation de plus en plus forte dans des milieux qu’on croirait plus étanches, grâce aux efforts répétés des législateurs qui tentent de dépénaliser l’usage de drogues douces… Jonathan Cohen, Gerard Darmon et même Enrico Macias prennent plaisir à jouer leurs rôles, ça se voit, j’irai même jusqu’à dire qu’ils font un kif devant la caméra.
Soit, mais est-ce suffisant ?
Family Business, une série qui fera date ?
Je n’en suis pas certain. Si le cocktail prend dans certaines séquences d’anthologie – et certaines expressions appelées à devenir cultes, de la beuhcherie au pastraoui – je n’ai pu m’empêcher de ressentir un certain malaise au bout de quelques épisodes.
D’une part, si j’apprécie l’humour juif ou sur les juifs, je n’ai jamais été un grand adepte de la vulgarité. À la limite de la vulgarité au 2e ou 3e degré. Mais au 1er degré, je passe mon tour : Torah et quéquette ne font pas bon ménage – à titre personnel, j’ai eu beaucoup de mal à écrire ces deux mots dans une même phrase. Dans cet univers de contenus à prétention culturelle que se veut Netflix, Family business s’inscrit plus dans la catégorie de films comme La vérité si je mens, où il ne faut pas être très regardant sur la forme si l’on veut apprécier le fond, que dans celle de Jazz singer.
Mais ce n’est pas là le moindre défaut. Il y a pire. Le peuple juif, en effet, étant le sujet de fantasmes à n’en plus finir depuis la nuit des temps, je crains en effet que des spectateurs pas forcément plus stupides que la moyenne (il faut lire ou relire La démocratie des crédules) prennent malheureusement ce type de support au premier degré, associant la communauté juive à des formes de trafics de toutes sortes, trafics qui lui permettent d’accomplir sa prétendue mission de domination du reste de l’humanité. Des Protocoles des sages de Sion à la vente de cannabis enrobés dans des paquets de merguez, il faut une bonne dose d’imagination pour franchir un tel pas.
Le problème des antisémites, c’est qu’il sont capables de le franchir allègrement.
Qu’on le veuille ou non. C’est comme ça et il faut faire avec.
Bref, on aurait pu s’en passer.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec