Faire le mort
Se faire passer pour mort pour mieux confondre ses adversaires, ce n’est pas une pratique nouvelle. On l’a souvent vu au cinéma, comme dans The Dark Knight, où le commissaire de police joué par Gary Oldman simule sa disparition pour protéger ses proches. C’est au même petit jeu que vient de jouer un journaliste russe, Arkadi Babtchenko: mort le matin, il est réapparu dans l’après-midi.
Laissons de côté l’affaire en tant que tel, la menace supposée des services russes et l’arrestation du tueur qui avait pour mission de l’éliminer. Intéressons-nous plutôt aux impacts immédiats, et aux conséquences ultérieures.
Dans l’immédiat, on peut tous avoir une pensée pour les proches de ce journaliste. Sa compagne, d’abord. Était-elle dans le coup, ou bien a-t-elle découvert le subterfuge comme tout le monde, dans la journée? Ses enfants, s’il en a. Comment ont-ils vécu cette journée? Se sont-ils rendus compte de ce qui s’était passé? Ses parents, s’ils sont toujours vivants. Quel impact une telle annonce peut avoir sur ceux-ci? Babtchenko est âgé d’une quarantaine d’années, l’annonce du décès de leur fils à des parents âgés d’une soixantaine d’années ou plus n’est pas sans impact. Y a-t-il songé?
L’autre aspect de l’affaire, c’est qu’elle remet au goût du jour un subterfuge qui pourrait en inspirer plus d’un. Verra-t-on les journalistes mexicains, les blogueurs chinois ou les opposants de tout bord simuler leur disparition un peu partout dans le monde, pour tenter de brouiller les pistes? Sans parler de ceux qui se noient dans l’anonymat d’un changement d’identité pour mettre un terme à leur vie antérieure, et poursuivre leur séjour sur terre sans avoir à subir les conséquences de leurs actes ou de leurs propos.
Le simulacre de Babtchenko nous rappelle que des dizaines de personnes dans le monde vivent sous une menace plus ou moins visible. En réussissant un tel tout de passe-passe (avec l’aide des services ukrainiens, quand même), il a fait plus que sauver sa peau: il nous invite à penser à tous ceux qui au péril de leur vie ont, un jour, dénoncé ce que certains voudraient taire à tout jamais. Avant de critiquer son acte, il faut réfléchir à ses motivations.
ici bas, rien n’est gratuit. Y compris la mort.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec