Fabless company et stratégie du lombric
Bertrand Delage m’a transmis ce matin un article très intéressant, que j’ai retrouvé sur le site de Jean-Michel Yolin. Cela parle de sous-traitance, de délocalisation et de transfert de technologies. Je vous laisse découvrir ce texte vraiment bien écrit et révélateur d’un manque de vision industrielle.
Fabless Company et stratégie du lombric
Nos emplois partent vers des pays a haute qualification et bas salaires : la suppression en cours de 188 emplois à Saumur par l’entreprise de sous-traitance Celestica illustre le fait que d’autres phénomènes, plus insidieux que les « délocalisations », sont aussi à l’œuvre: c’est la « stratégie du lombric »:
De la même façon que cet animalcule, nos emplois, par une succession d’extensions et de contractions se déplacent vers l’Est
Flexibilité, capacité à prendre le risque d’innover et réduire les besoins en Fonds Propres :
la Fabless Company
La compétition internationale implique d’attaquer le marché mondial, et nombre d’entreprises se doivent de recentrer leurs forces sur la partie de leur business qui dégage le maximum de valeur ajoutée : la conception et le marketing, en s’appuyant sur des sous-traitants pour la production.
C’est Internet qui permet cette évolution en accroissant drastiquement l’efficacité des relations interentreprises (tant pour la conception que pour la fabrication, la logistique, la distribution et le Service Après vente). Internet permet en effet de gagner sur les coûts des transactions, les délais, le suivi qualité (traçabilité), les stocks et en-cours avec trois avantages majeurs :
tout d’abord, un gain en flexibilité, car il est plus facile de stopper des commandes que de fermer une de ses propres usines (dans les faits une entreprise à droit de vie ou de mort sur ses fournisseur, mais n’a quasiment pas de pouvoir sur ses propres employés – Qui ne se souvient de Vilvoorde).
Ensuite une capacité plus grande à innover car l’entreprise peut prendre plus de risques dans le lancement de ses nouveaux produits (en effet en cas d’échec d’un produit l’impact sur les finances de l’entreprise est beaucoup plus limitée car elle n’a pas à supporter les coûts d’arrêt de production)
et enfin une limitation des besoins en capitaux, ce qui permet de concentrer ceux-ci sur le développement des nouveaux produits et la conquête de nouveaux marchés.
Il s’agit de ce fait d’une tendance lourde qui touche les principales entreprises (automobile, aéronautique, transport, équipements électroniques)
Contrairement à ce que l’on pourrait craindre cela ne se traduit pas obligatoirement par une incertitude plus grande pour les sous-traitants : Aujourd’hui, au niveau de la production d’une entreprise, les fluctuations sont dues, de façon cumulée, à la conjoncture générale et à la réussite des nouveaux modèles développés.
Avec les « fabless companies » les sous-traitants travaillent pour toutes les entreprises d’un même secteur (tous les équipementiers téléphoniques, mais aussi les micro-ordinateurs, consoles de jeu, imprimantes, décodeurs, routeurs …)
Ces soustraitants (comme Solectron (US), Flextronic (Singapour) Celestica (Canada) sont maintenant souvent de gigantesques entreprises multinationales : en 2000 Solectron comptait 120.000 salariés)
L’organisation « Fabless » dissociant les aléas dus à la conjoncture et ceux liés à la réussite d’un nouveau produit permet donc un fonctionnement optimisé de l’outil de production au niveau global
Mais une évolution qui conduit à la « stratégie du lombric »
Un effet pernicieux dont il convient toutefois de prendre conscience : la stratégie du lombric pratiquée par ces sous-traitants.
Quand une entreprise décide « d’outsourcer » ses productions, elle cède au sous-traitant ses usines avec le personnel concerné (Belfort, Longuenesse, Laval, Pont de buis, Douarnenez, …):
En haut de cycle (période d’extension), le sous-traitant fait tourner ses usines européennes mais localise ses nouvelles usines dans les pays à haute technicité et bas salaire (Inde, Chine,…)
Et en bas de cycle (période de contraction) il ferme ses usines dans les pays qui pratiquent de hauts salaires: Solectron supprimé 52.000 postes depuis 2001 et fermé 3 usines sur 4 en France
Au bout d’un cycle complet « d’extension contraction » on constate que tel le lombric les usines se sont déplacées vers l’Est, voire plus loin …
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Le lombric n’a pas fini son chemin.
Lorsque la sous-traitance, qui possède la compétence réelle, se trouve relocalisée, la zone qui la recueille désormais découvre avec surprise qu’elle peut construire ses propres donneurs d’ordre. Et à quoi lui servent ceux des pays occidentaux ?
Le raisonnement qui précède a un bug: l’ancienneté de notre tissu industriel a un avantage, qui n’a rien à voir avec le coût mais avec le fait que nous sommes les seuls à savoir fabriquer ce que nous fabriquons (à moins de transférer ce savoir-faire ailleurs). Donc si nous choisissons de le développer, nous augmenterons cet avantage.
Mais nous avons choisi de l’exporter. Et l’argumentation qui précède est la rationalisation de ce choix. Pourquoi cette décision ? Par ce que l’argent que gagne une entreprise, ou un groupe d’entreprises, se répartit entre ses employés. Les dirigeants récupèrent en grande partie l’argent qu’ils prennent à leur base. Dans ces conditions, pourquoi se préoccuperaient-ils de la pérennité de l’entreprise qu’ils dirigent ? Surtout qu’il lui faudra plusieurs décennies pour s’effondrer.
Il y a quelques années la France à hurlé parce que le P-DG de PSA gagnait 36 fois le SMIC. Aujourd’hui, les revenus de nos grands dirigeants sont de l’ordre de 10 à 30 fois ce chiffre.