L’État (peut-il être) entrepreneur ?
Alors que j’évoquais avec lui ma récente lecture du livre de Laura Létourneau et Clément Bertholet, un de mes partenaires européen, Duco ter Steege de l’agence néerlandaise Nubis me recommanda la lecture d’un livre qui allait bousculer mes idées et mes préjugés sur le rôle de l’état comme moteur de l’innovation: The Entrepreneurial State. Je dois avouer que je n’ai pas été déçu du voyage…
The Entrepreneurial State remet en effet les pendules à l’heure, et débusque la plupart des mythes que nous autres, entrepreneurs du digital, faisons perdurer, par ignorance ou par fainéantise. Son auteur, Mariana Mazzucato, est une économiste d’origine italienne, élevée aux Etats-Unis. Elle jette un regard sévère mais objectif sur le monde de l’innovation.
Son propos est le suivant: il est erroné de croire que l’innovation est le fait du secteur privé, et que seuls les entreprises et les fonds d’investissement sont capables de prendre les risques qui ont abouti aux innovations de rupture. En réalité, les grandes innovations, celles qui sont capables de changer la face du monde, sont avant tout le fait de politiques industrielles menées par les états. L’internet, le GPS, la reconnaissance vocale, et plein d’autres produits de haute technologie sont avant tout le fruit de programmes de recherche financés et menés par l’état, avant d’avoir été repris et exploité par quelques entreprises qui en ont capté la valeur, comme Apple. Et l’auteur de citer les grands programmes d’aide aux entreprises innovantes: Defense Advanced Research Projects Agency, Small Business Innovation Research, Orphan Drug Act, etc.
Mariana Mazzucato l’affirme fermement, c’est non seulement erroné, mais cela porte préjudice à la capacité d’investissement des états. En effet, en maintenant la croyance d’une innovation d’abord portée par les entreprises et les fonds de capital risque, on justifie des politiques de désengagement de l’état et de réduction des budgets de recherche, ce qui porte à moyen terme un coup fatidique à la capacité d’innovation des états.
L’auteur prend l’exemple d’Apple. Ses produits phares, iPhone ou iPad, ont bénéficié – presque gratuitement – des investissements colossaux de l’état américain d’abord autour de l’internet, puis dans le système de satellites qui permet la localisation GPs, mais aussi dans le financement de technologies comme les écrans tactiles ou la reconnaissance vocale. Quel bénéfice en a tiré l’état américain? Selon Apple, l’explosion des ventes de ses produits a permis d’engranger quelques centaine de milliers de jobs. Mais en terme de revenus? Rien ou presque. Apple ne paie quasiment pas d’impôts depuis quelques années. Pire, si on observe le ratio R&D/CA de l’entreprise, il n’a fait que décroître sur les 15 dernières années. Certes, les ventes ont explosé. Mais comparé à d’autres géants technologiques, Apple fait figure d’élève assez moyen, comparé aux ratios constatés chez d’autres acteurs comme Microsoft ou Google.
Mazzucato ne s’en prend pas qu’à Apple. L’industrie pharmaceutique en prend également pour son grade. En fait, ce que cherche à faire l’auteur, c’est tirer un signal d’alarme pour que les états reconsidèrent leurs politiques d’investissement dans la recherche, et cessent de s’en remettre aux seules start-up et aux fonds d’investissement. Selon elle, il faut une vision cohérent, long terme, avec des signaux clairs. Et repenser le mode de financement ou d’aides des entreprises innovantes.
Son propos est clair, précis, et fait mouche. Seul regret, dans la multitude d’états pris en exemple, pas une seule fois il n’est fait mention d’Israel. C’est regrettable. Cet état a depuis quelques années déjà adopté une approche originale en matière de financement des programmes de R&D, notamment au travers du bureau du Chief Scientist. Sa manière d’investir dans certains projets, et surtout, d’engranger des bénéfices à la manière d’un VC. L’acquisition de Waze par Google, par exemple, illustre parfaitement comment un état peut tirer parti des succès dans lesquels il a investi. A bon entendeur…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Je vois que nous partageons quelques points de vue et je repense aussi au Minitel et au Bibop mais il y a évidemment des exemples plus pérennes !