Est-ce est un Shogun ? Non sire, c’est un show Ghosn
Arrêté en novembre 2018 au Japon et accusé de malversations financières, Carlos Ghosn s’est enfuit de manière assez rocambolesque fin décembre 2019 de la résidence surveillée où il était confiné, pour rejoindre sa famille au Liban, en passant par la Turquie, sans que l’on sache réellement comment s’est déroulée l’évasion. Une bonne dose de mystère est toujours nécessaire pour conforter une légende. Hier, l’ancien PDG de l’alliance Renault-Nissan a tenu une conférence de presse pour « expliquer » les raisons qui l’ont poussé à organiser lui-même, comme il tient à le préciser, cet aller simple vers le Beyrouth.
Conférence de presse, ou véritable show « Carlos Ghosn » ? À vous de juger. Il y en a pour plus d’une heure, dans la vidéo ci-après. Cela vaut largement le coup, d’écouter ce grand patron s’exprimer sur l’affaire qui l’a laissé plusieurs mois derrière les barreaux, qu’on soit d’accord ou non avec lui. Comme un ingénieur, il structure son discours et démonte point par point les faits qui lui sont reprochés.
Ce qui ressort de cette conférence, c’est une sorte de paradoxe profond. PDG de Nissan pendant plusieurs années, architecte de l’alliance entre les deux constructeurs français et japonais, doté de trois nationalités différentes (il est libanais, brésilien et français), Carlos Ghosn a été jusqu’à présent l’un des dirigeants les plus emblématiques d’une globalisation si ce n’est nécessaire, du moins galopante. Ses démêlés avec la justice japonaise montrent une autre face de cette mondialisation, une face plus difficile, plus douloureuse, où l’ancien PDG se présente comme la victime d’un choc des civilisations, d’un complot ourdi par la structure japonaise, sur fond de montée en puissance de l’état français actionnaire.
Ghosn est l’exemple même de ces Anywhere dont il est question dans le livre de David Goodheart. Membre d’une élite cosmopolite qui s’est construite grâce à la performance personnelle, à l’aise dans plusieurs langues, ils ne sont liés à aucune attache territoriale, et ne répondent de rien d’autre que de leurs compétences. Pourtant, en temps de crise, il a eu un réflexe de Somewhere, ces laissés pour compte de la mondialisation qui leur sont opposés par le journaliste britannique : il est revenu au Liban, seul refuge d’où il peut organiser sa défense.
Et en matière de défense, y a-t-il mieux que l’ attaque? Du statut d’accusé, Carlos Ghosn passe à celui de procureur. C’est désormais la justice japonaise qui est dans l’oeil du cyclone, décrite comme partiale et injuste, et qui doit se justifier pour ces quatorze mois de détention, dont une première partie derrière les barreaux avant de passer en résidence surveillée – mal surveillée, si on le comprend bien.
Le fils de Carlos Ghosn, Anthony, a co-fondé une fintech, basée dans la Silicon Valley, au nom évocateur : Shogun. Ce terme, d’origine japonaise, désigne une sorte de dictateur militaire, dont le pouvoir étendu s’opposait à celui de l’empereur. Hier, ce n’est pas tant un shogun qui s’est exprimé, qu’un show Ghosn qui s’est déroulé.
Et comme avec les séries Netflix, on en redemanderait presque et on attend le prochain épisode…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Intéressante analyse !
Il semble bien que les mésaventures de C.Ghosn marquent un changement.
Il personnifie ce qui a été longtemps la « Doxa »: le « créateur de valeur », selon Ayn Rand. Le démiurge, hors sol. Ce modèle d’individualisme contre nature a fini par produire une réaction violente de la dite nature. C.Ghosn, lui aussi, redécouvre les vertus de l’entraide sociale et de la culture mère. Mais il reste tout de même fidèle à son identité : il combat. Il doit maintenant se montrer à la hauteur de sa légende. C’est la chance que lui ont offerte les Japonais : sortir de la routine, qui le menaçait.
S’il réussit, il est sûr de faire fortune à Hollywood. Midnight express II.
Carlos Ghosn, ex-premier de cordée, entre par la grande porte dans la légende des grands malfrats en cavale : chapeau bas au château de Versailles, tous autant qu’on est !