En même temps linguistique
L’actualité nous offre un télescopage médiatique de grande envergure, comme seuls les adeptes du « en même temps » savent les produire. Tout a commencé ce weekend, avec une invitation, adressée par le Président de la République lui-même, à un couple de Youtubeurs plus connus des cours de récréation que des associations d’anciens des grandes écoles. Mcfly et Carlito, car c’est d’eux qu’il s’agit, ont donc été gentiment réquisitionnés par le PR pour réaliser une video rappelant à nos compatriotes l’importance des gestes barrière dans la lutte contre le Covid-19. Avec une récompense à la clef : si la vidéo en question dépasse les 10 millions de vue, les deux comparses seraient invités à réaliser un clip à l’Elysée.
Et voilà le résultat.
Je vous laisse juger par vous-même de l’intérêt d’une telle démarche. À croire que les millions d’affichettes placardées un peu partout, des ascenseurs aux open-spaces, des bureaux de poste aux devantures des Franprix, n’ont pratiquement servi à rien jusque là dans la lutte contre la pandémie. Mcfly et Carlito, c’est StopCovid puissance 12…
Mais en même temps, que vois-je fleurir dans l’organe de presse qui se veut le parangon de la conscience nationale ? Une tribune, signée par un collectif de ministres, sous-ministres et députés de La République en marche, et gravement intitulée : « Islamo-gauchisme » : « Au secours, le clivage droite-gauche revient ! ».
Il ne s’agit pas, pour moi ,de prendre ci position sur l’avis des dits-ministres, ou de juger de l’opportunité de cette prise de position. Après tout, l’une des leurs a été prise à partie, et on ne peut que se féliciter qu’une partie du gouvernement fasse preuve de solidarité au bénéfice de ses éléments les plus fragilisés.
Non, mon propos, ici, et de mettre le doigt sur une tendance dont les élus LREM sont, à mon humble avis, les représentants les plus visibles : l’utilisation d’un jargon technocratique, un charabias incompréhensible, même au bout de trois ou quatre lectures répétées, l’usage de termes à plus de 7 ou 8 syllabes, qui nécessitent de reprendre son souffle plusieurs fois au milieu de chaque phrase, nous obligeant à réaliser un effort de mémorie accru.
Jugez-en par vous-même.
Refuser de traiter la question des origines ou celle de la couleur de peau au sein des problématiques de discrimination par peur d’abîmer l’universalisme à la française est non seulement inconséquent, mais aboutit à crédibiliser les propos de ceux-là même qui défendent une essentialisation du débat.
C’est bon ? vous avez tout saisi ? Non ? Allez, encore une fois.
Refuser de traiter la question des origines ou celle de la couleur de peau au sein des problématiques de discrimination par peur d’abîmer l’universalisme à la française est non seulement inconséquent, mais aboutit à crédibiliser les propos de ceux-là même qui défendent une essentialisation du débat.
C’est beau, non ?
Allez, on en reprend.
Dans les deux cas, l’essentialisation des personnes et la bataille gramsciste autour de la sémantique empêchent tout débat et grèvent l’action publique. Nous devons refuser de nous laisser enfermer dans le piège qui consisterait à remplacer « droite » par « contempteur de l’islamo-gauchisme » et « gauche » par « défenseur de l’intersectionnalité ».
Je crois que je n’ai jamais autant ri devant un tel type de texte. À croire que la caractéristique des élus LREM, c’est de faire usage de termes inutilement compliqués – le font-ils pour plaire à Emmanuel Macron, issu d’une formation en philo ? J’en suis presque arrivé à l’imprimer et à stabyloter les mots les plus hermétiques.
Gramsciste.
Intersectionnalité.
Essentialité.
On dirait presque du Haddock. Sauf que le Capitaine était plus drôle.
Ainsi navigue le vaisseau LREM.
À l’avant, un peu de Mcfly et de Carlito, histoire de draguer les jeunes.
Au centre, une novlangue à peu près incompréhensible.
À l’arrière, quelques pointes contre l’islamo-gauchisme, un concept devenu très à la mode.
Mais surtout, rien à droite ni à gauche.
Ça va être long, de tenir comme ça jusqu’en mai 2022…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec