Elon Musk : avec Starlink, il a tout compris ?
Even rockets need hugs…
Les vidéos de la récupération du premier étage de la fusée Falcon Heavy il y a quelques jours sont réellement saisissantes… Il y a toujours quelques chose de fascinant, de quasiment magique, lorsque la science ou l’ingénierie réussissent à produire des séquences aussi harmonieuses, et – apparemment seulement – aussi simples. Et si Space X nous a habitués depuis quelques années déjà à voir des morceaux de fusée revenir sagement se poser sur Terre, les images de ces bras articulés en train de se saisir avec grâce de ce morceau de fusée pesant quand même quelques dizaines de tonnes constituent une étape déterminante de l’histoire de l’entreprise…
Il m’est arrivé de lire dans la presse, ou en ligne, des articles ou des publications qui remettent en cause l’intérêt de ce type de projet. Trop lourd, trop cher, trop grand, et puis à quoi cela va-t-il servir d’aller sur Mars ? Je dois avouer que ces publications me font doucement sourire. Non que je sois un chaud partisan de la colonisation de Mars, ni un candidat pour un de ces vols spatiaux : j’ai une sainte horreur des montagnes russes, et rien que l’idée de me prendre plus de 2G dans la nuque me donne des nausées.
Si je souris, c’est parce qu’il me semble que les auteurs de ces publications sautent une étape importante : la conquête du ciel terrestre. C’est à mon avis le principal objectif de Musk, même s’il reste plus discret sur ce point que sur ses lancements réussis.
Mars attack ?
Je ne suis en effet pas certain que Musk réussira à envoyer un vol habité sur Mars de son vivant. S’il y parvient, je lui dirai bravo, du fond du coeur. Mais en revanche, je suis certain qu’Elon Musk est en train de réussir un de ces coups d’enfumage de dimension internationale comme on en rarement vu depuis quelques décennies. Car ce que permet le décollage et l’atterrissage réussis de fusées Falcon Heavy, c’est avant tout un sacré coup d’accélération d’un autre projet tout aussi vital pour Space X, Elon Musk et tous ses projets : la mise en place de Starlink.
Starlink, c’est ce réseau de satellites en orbite basse, que Space X doit déployer, pour permettre un acc´s à internet par satellite depuis quasiment n’importe quel endroit de la planète (pourvu que Musk décide que c’est autorisé…). Pour y parvenir, Starlink doit déployer de l’ordre de 40 000 satellites au total. Pourquoi autant de satellites ? Parce que pour permettre un accès internet haut débit, avec de faibles latences (nécessaire pour que monsieur lambda puisse voir ses vidéos TikTok en toute tranquillité), il faut réduire la distance entre le boîtier d’accès Starlink et le point d’accès au satellite, tout comme la distance entre le satellite et la station émettrice du point d’accès à internet. Et oui, la bonne vieille vitesse de la lumière et sa limite infranchissable ont un impact direct sur la qualité de vos vidéos TikTok.
C’est donc pourquoi Starlink, contrairement aux précédents opérateurs d’internet par satellite, a chois une orbite basse. Basse, donc qui ne couvre que des zones de superficie réduites. Il faut donc beaucoup plus de satellites pour couvrir toute la planète. Et il faut donc envoyer beaucoup, beaucoup plus de satellites.
Space odissey
Or envoyer des satellites, cela coûte cher.
Enfin, cela coûtait cher avant Space X.
En développant des lanceurs réutilisables, Space X a non seulement réduit le coût individuel de chaque lancement, mais permis de faire beaucoup plus de lancements par an (une Falcon 9 tous les 3 jours, actuellement, dont 60% pour Starlink uniquement…).
Année | SpaceX | ULA | Arianespace | Roscosmos | CASC (Chine) |
---|---|---|---|---|---|
2014 | 6 | – | – | – | – |
2015 | 7 | – | – | – | – |
2016 | 8 | – | – | – | – |
2017 | 18 | – | – | – | – |
2018 | 21 | 8 | – | – | – |
2019 | 13 | – | – | – | – |
2020 | 26 | 6 | – | 17 | – |
2021 | 31 | – | – | – | – |
2022 | 61 | – | – | – | – |
2023 | 96 | – | – | 12 | 47 |
Mais une Falcon 9 ne peut envoyer qu’une centaine de satellites à chaque vol. Il faudrait donc près de 400 vols, soit presque 4 ans pour arriver au terme du déploiement. Sans compter les remplacements de satellites, dont la durée de vie serait de l’ordre de 6 ans. bref, il faut passer à la vitesse supérieure.
C’est là que la Falcon Heavy intervient. Elle est non seulement capable d’envoyer des charges utiles considérables dans l’espace, ou des humains vers Mars (quoique…), mais elle peut aussi accélérer de manière drastique la cadence de mise en orbite des satellites de la constellation Starlink.
Autrement dit, couvrir la planète en quelques mois.
Je serais opérateur internet, je m’intéresserais de près à ce que cela signifie. En effet, au prix actuel de l’abonnement Starlink (40 euros par mois plus 350 euros pour le boîtier), j’ai comme l’impression que des campagnes beaucoup plus intensives de publicité, pour nous pousser à changer d;’opérateur, vont se mettre en place dans les pays développés. Car quoiqu’on pense, ce n’est pas le business de l’internet haut débit dans les pays en voie de développement qui assurera des rentrées de cash à Starlink, mais des millions d’abonnés dans des pays développés, qui n’hésiteront pas à franchir le pas, pour s’offrir un accès internet qui suit leurs déplacements.
Avec Starlink, Elon Musk, lui, il a tout compris…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec