L’effet tunnel
Si à moyen terme l’objectif de l’opération israélienne qui se déroule actuellement à Gaza est bien de mettre un terme aux tirs de roquettes et de missiles en direction du territoire israélien, l’objectif à court terme est bien de détruire l’infrastructure de tunnels utilisés par le Hamas pour mener à bien ses assauts contre des cibles civiles ou militaires. De quoi s’agit-il? Un peu de pédagogie sur ce sujet ne ferait sans doute pas de mal, et on attend le reportage qui sera consacré, un jour peut-être, à ce sujet.
Les premiers tunnels remontent à une époque assez éloignée, probablement de la première intifada. A l’origine, ils s’agissaient de tunnels de contrebandiers, qui permettaient de passer sous le point de contrôle de Rafah à la frontière avec l’Egypte, à l’époque où Gaza était encore sous occupation israélienne. De l’acheminement de marchandises en contrebande, ces tunnels se sont ensuite en tunnels servant à acheminer des armes, pour équiper les groupes armés, et notamment le Hamas, dans sa lutte contre l’Autorité Palestinienne. En juin 2007, quelques années seulement après le retrait israélien de Gaza en 2004-2005, le Hamas décide de prendre le pouvoir manu militari: le Hamas et le Fatah s’affrontent dans une guerre civile que beaucoup ont oublié, mais qui aboutit à une domination totale du Hamas sur ce maigre territoire.
Le discours officiel du Hamas n’a rien de pacifique, et cette organisation ne cache pas sa volonté d’éliminer Israël. Pour cela, le Hamas a besoin de s’équiper d’armements, et tous les moyens sont bons. Ce sont par exemple les acheminements par bateau, affrétés par l’Iran ou le Hezbollah libanais, mais ceux-ci sont souvent arraisonnés par la marine israélienne. Dès lors, le Hamas intensifie l’acheminement d’armes par les tunnels, et développe leur infrastructure à un rythme soutenu.
Qui construit ces tunnels? Probablement des ouvriers Gazaouis, forcés d’y participer. Le reportage suivant affirme que plusieurs dizaines y ont laissé leur vie, travaillant à l’excavation de conduits entourés parfois à plus de vingt mètres de profondeur.
Witness – The Gaza Tunnels par aljazeeraenglish
Avec le développement d’une force balistique conséquente – près de 100 engins lancés chaque jour depuis deux semaines, cf. l’illustration ci-après… – on voit que l’utilisation des tunnels à des fins d’importation de matériel militaire a connu un rythme effréné. On se dit, au passage, que le blocus de Gaza dont parle les médias est bien fragile. On se dit en outre, que ces mêmes tunnels auraient pu servir à d’autres fins plus civiles. Et on comprend mieux, dès lors, pourquoi Israël doit maintenir une présence militaire depuis si longtemps; même si, au final, c’est bien un échec, au vu de la quantité d’armes passées dans les mailles du filet.
#ProtectiveEdge stats – Hamas back to its avarge rockets amount.
full doc
https://t.co/m0c0rAAb6v pic.twitter.com/IoVLy8CHBe
— Nehemia Gershuni (@Nehemia_G) July 22, 2014
Il faut aussi dire que les deux dernières années, l’Egypte dominée par l’organisation des Frères Musulmans, ne s’est pas opposée à la multiplication de ces tunnels, bien au contraire. Et l’on peut probablement considéré qu’avec la prise de pouvoir du général Sissi, les choses ont changé.
Depuis le début des opérations militaires, il y a deux semaines, on découvre de nouveaux tunnels, construits en bordure de la frontière avec Israël, et servant à la fois à faire circuler des armes, mais aussi des combattants, et probablement l’infrastructure de télécommunication du Hamas (qui n’utilise pas l’infrastructure de téléphonie mobile, pour ne pas être géolocalisé…). Il serviraient également à dissimuler les rampes de lancement des missiles à courte et moyenne portée qui pilonne le sud du territoire israélien.
Le film suivant, monté à partir d’anciens reportages, illustre ces nouveaux usages. Il est probablement à prendre avec des pincettes, certaines images faisant plus penser aux infrastructures du Hezbollah qu’à celles du Hamas.
Les tunnels du Hamas illustrent les nouvelles formes de guerre au proche-orient. Une nouvelle forme de « guerre asymétrique », où l’un des belligérants, Israël, dispose d’une considérable force de frappe et de moyens modernes, mais doit faire face à des adversaires probablement plus faibles, mais enterrés, dissimulés dans un dédale difficile à pénétrer, et qui disposent d’un avantage essentiel: la connaissance du terrain. Le bilan terrible des premiers jours de combat côté israélien en est une parfaite illustration: malgré des outils ultramodernes, Tsahal avance comme en aveugle et découvre le théâtre des opérations à la guise son avancée dans ces tunnels, qui sont l’arme la plus redoutable imaginée par les stratèges du Hamas et du Hezbollah avant eux.
Détruire au maximum cette infrastructure de tunnels sera probablement l’objectif prioritaire des forces armées israéliennes ces prochains jours. Avant qu’un cessez-le-feu définitif n’intervienne, qui permettra sans doute, hélas, au Hamas de reprendre son travail de tunnelier…
Découvrez d'autres articles sur ce thème...
Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Intéressant!
Cela montre l'ingéniosité humaine. Et peut-être aussi que la vie ne compte pas lorsque l'on est désespéré…
Question que je me pose : les tunnels sont le résultat du blocus, me semble-t-il. D'après le premier schéma, il semblerait que c'est aussi une question d'argent, un petit nombre de familles ayant bâti une fortune grâce à eux, apparemment. Et c'est parce qu'il sont clandestins que l'on ne parvient pas à contrôler ce qui y passe (les missiles notamment). Et si le commerce était facilité ? N'y aurait-il pas moins d'intérêt à prendre le risque d'un tunnel ? Cela ne liquiderait-il pas une partie de ses conséquences néfastes en facilitant les contrôles ?
Non les tunnels ne sont pas le résultat du blocus: ils préexistaient, du temps où l'armée israélienne était encore présente à Gaza. Mais le blocus a probablement accéléré leur prolifération. Maintenant, en cas de non blocus, je suis certain qu'ils seraient encore utilisés pour l'acheminement d'armes. La solution se trouve plutôt du côté d'un changement politique, un Sissi qui prendrait la tête à Gaza…
Mon cher ami Herve,
Tu sais combien, je t’apprécie et plus généralement tes valeurs ; Tu connais aussi, en tout cas je pense mes valeurs pour l’équité et la paix dans ce monde. Depuis quelques jours, je milite sur les réseaux sociaux (Twitter) pour la paix et dénonce le carnage humain qui a lieu…à GAZA ; Je me permets donc de répondre à ton billet ; car tous deux en tant que professionnels de la communication, savons combien l’échange et le partage des idées est important. Je te recommande d’ailleurs à ce sujet l’excellent plateau TV de cafeine TV (….) sur l’infowar. http://cafeine.tv/event/5302/democratie-2.0/digitainable/extension-du-domaine-des-luttes-intercommunautaires-dans-l-espace-numerique
Je connais ton attachement à Israel et le respecte comme tu le sais. Mais, aimer un pays, son deuxième pays, c’est le défendre sur les principes de paix et d’égalité. C’est pourquoi, j’aimerai répondre à ton article que je trouve quelque peu orienté.
Tout d’abord, là où tu parles « d’opération », moi je parle de guerre. Car ne nous voilons pas la face, il s’agit bien une guerre, une énième de plus dans ce monde… Les justifications des autorités israéliennes qui présentent leurs exactions comme des représailles sont pour moi irrecevables. D’abord parce qu’elles frappent des civils qui sont maintenus sous un blocus inhumain depuis plus de six ans et, qu’à ce titre, elles constituent des crimes de guerre. La 4eme convention de Genève : protection des populations civiles est complètement bafouée; Petite rappel, cette convention commande :
que les civils ne soient pas impliqués dans les hostilités et que les militaires hors de combat soient protégés ;
que ceux qui souffrent soient secourus et soignés sans aucune discrimination et que leur dignité soit respectée.
A ce sujet je te propose ce superbe discours de D. Villepin( lien), car il est certain qu’on aurait pu éviter cela : https://www.youtube.com/watch?v=RNxU-tN8qNc
Concernant les objectifs, tu admettras tout de même qu’ils ont radicalement évolués en quelques jours. On parle effectivement maintenant de tunnels pour justifier le massacre des populations civiles et surtout d’enfants : + de 20% de la population civile ( sur plus de 600 morts).. Pour mémoire, les 4 enfants ont été éliminés sur une plage et non dans un tunnel. + de 90.000 familles ont fuis leurs foyers qui n’étaient pas des tunnels Toi comme moi, donnons beaucoup d’importance à nos familles respectives et nos enfants et connaissons donc la valeur d’une vie. Alors protégeons celles des autres quelques soit leur race, leur appartenance religieuse et leur lieu d’habitation.
Tu précises que le Hamas ne cache pas sa volonté d’éliminer ISRAEL… (Je ne suis pas pro-Hamas très loin de là d’ailleurs et ne serai cautionner à eux non plus, leurs actes)… Mais je t’invite à donner un petit coup d’œil sur les cartes et l’évolution de l’emprise d’Israël ces dernières années. Je ne sais pas qui cherche à éliminer qui…
Tu parles de tunnel, mais j’ai comme l’impression, que L’Etat d’Israël, est plutôt doué en matière de maçonnerie : Comment peut-on aujourd’hui encore accepter un mur de près de 700 kilomètres, une construction condamnée par les instances internationales ? A ce rythme-là, vous n’aurez plus de bétons pour construire vos maisons( )
Une autre phrase m’a profondément marquée « le bilan terrible des premiers jours de combat côté Israéliens en est une parfaite illustration »… Je crois rêver Hervé, Tu parles d’une dizaine de soldats qui ont choisis d’aller se battre au péril de leurs vies et tu occultes les centaines de civils : femmes, enfants etc…. qui n’ont jamais rien demandés à personne ; Comme si la misère dans laquelle ces gens-là étaient ne suffisait pas. La vie d’un israélien aurait-elle plus de valeur que celle d’un palestinien ?
Pour en revenir, à ces fameux Tunnels.. Ils n’y auraient pas de tunnel, si l’on avait ouvert les frontières et les laissait commercer, soit la reconnaissance du droit du peuple palestinien à un Etat souverain aux frontières aussi sûres et reconnues que celles de l’Etat d’Israël,
Bref, j’arrête là…J’ai posté deux citations sur mon compte twitter ces derniers jours.. A méditer :
Celle de Albert Einstein « The world will not be destroyed by those who do evil, but by those who watch them without doing anything »
Et de Martin Luther King “Nous devons tous apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons tous mourir ensemble comme des idiots”
« Pour une paix, juste et durable, fondée sur l’application du droit international et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
Ton ami Mohamed
Merci Mohamed pour ton long message. Je sais qu'on est sur la même longueur d'onde. Je sais aussi que ce sujet est un terrain dangereux et glissant, c'est la raison pour laquelle j'essaie de communiquer avec parcimonie, et sans prendre parti. Ce n'est pas, tu t'en doutes, un article "sponsorisé", et j'ai tenté de garder un ton aussi neutre que possible.
Pour moi, ce conflit n'était absolument pas justifié, jusqu'à ce qu'un déluge de roquettes s'abatte sur Israël. Certains de mes proches sont là-bas, en ce moment. Je les entends tous les jours, m'expliquer, au téléphone, la routine des sirènes, des abris, et je comprends qu'un jour, ils aient envie de dire "ça suffit". Et j'espère sincèrement qu'un jour les deux camps trouveront d'autres solutions que de se balancer sur la figure à tout bout de champ.
Ce sera dur, long, pénible, mais c'est tellement nécessaire.
La guerre c’est la guerre.
Je sais, c’est assez con dit comme ça, mais pour moi cela résume assez bien le point où l’on, en est. C’est un peu comme « la pluie c’est la pluie ». Mais après viendra la paix. Un jour, demain ou dans un siècle.
Ce que l’histoire nous enseigne… faut-il vraiment en passer par ressasser tous les détails, toutes les sous-sous-phases préliminaires de chaque époque d’un conflit pour faire la paix ? Non, bien sûr.
Les allemands sont-ils devenus les meilleurs amis des français, des anglais, des autres nations et peuples en 1946 ? Non, bien sûr.
Ce qu’il faut, c’est une volonté. Begin et Sadate avaient une volonté. Vous vous souvenez ? C’était en… 1978… il y a 36 ans… Combien de personnes engagées dans le « conflit gazaoui actuel » (vous m’autoriserez cette dénomination que j’espère neutre aux yeux de tous) ont vécu ces accords ?
Mais aujourd’hui il n’y a pas cette volonté. La volonté du Hamas est de détruire Israël. La volonté d’Israël est de détruire le Hamas. (ou vice versa). Dans les deux cas c’est tellement idiot. C’est l’idéologie avant l’homme, et pour « gagner » son pari idiot chacune des parties cherche à embrigader l’opinion publique, à obtenir le consentement sans consentement. Relisez… relisez qui vous voulez, qui vous aimez, et vous comprendrez…
Alors vous voir, à mots couverts, vous des intellectuels, vous écharper parce que finalement votre confession diffère, et vous verse dans un camp ou dans l’autre, m’attriste.
Ne pourriez vous essayer d’imaginer un moment combien il pourrait être profitable d’exiger un vrai Camp David #2, avec une vraie liste de revendications de chaque côté, avec de vraies demandes ?
Bien sûr, pour les faire, ces listes, préalable à toute discussion, il faut des hommes. Et malheureusement, ces hommes ne sont pas ceux au pouvoir. C’est donc sur ce point qu’il faut se battre.
Nous sommes dans une ère où la communication est tellement rapide. Plus que jamais. Nous avons vécus les journalistes « embedded », nous avons vécu les révolutions suivies sur Twitter, nous avons vécu Wikileaks.
La paix est une affaire sérieuse, nous ne trouverons pas des Roosevelt, des Churchill ou autres ni à Gaza ni en Israël ni à l’ONU. Nous, externes à ce conflit, demandons que l’on donne la parole aux peuples, que l’on écoute leurs demandes, et qu’un débat entre les peuples s’engage. Vraiment.
Personnellement, je ne vois pas comment on en sortira autrement. Sauf en empilant encore des milliers ou millions de morts, en en attendant une année ou un siècle…
Merci pour votre message. Non, les intellectuels ne s’écharpent pas.
Mais je ne suis absolument pas d’accord avec vous: les externes ‘arriveront à rien sans leadership impliqué. Sadate et Begin ont réussi, d’autres le feront un jour. Il faut être patient. Et accepter les propositions de cesser le feu.
Merci Hervé, pour ce message auquel j’adhère totalement. Je précise cependant que je n’adhère à aucun camp, sinon celui de la paix et des civils qui ne demandent rien à personne (des deux côtés). Malheureusement, on assiste à un vrai massacre pour ne pas dire génocide aux yeux du monde entier. Il s’agit de faits. Bref, je suis écœuré, il n’y a pas d’autres mots.
Bien sûr qu’il faut accepter les propositions de cessez-le-feu !!!!
Bien sûr qu’il faut un leadership impliqué !
Mais s’il faut attendre un tel leadership sans rien faire d’autre que d’accepter des propositions de cessez-le-feu violées deux heures après leur début, on en a encore pour des milliers de morts, des haines et des rancœurs si fortes.
Les solution à la paix sont à trouver du côté de la communication et de l’éducation. Et de l’écoute des peuples, pour comprendre.
Salut Hervé. Comme tu le soulignes : après le carnage l'activité militaire gazaouie reprendra comme avant. Tant de morts pour rien ! Seule une solution politique l'emporterait. Difficile cependant après tant d'épreuves d'imaginer une cohabitation pacifique.Peut-être par une élévation drastique de la qualité de vie ? Il me semble pourtant que les évènements qui se déroulent en Irak et en Syrie avec la prise de pouvoir de radicaux décérébrés est autrement plus dangereuse à terme que les pétards gazaouis, n'est-ce pas cela qui devrait préoccuper le gouvernement israelien ?
Pas sûr que le gouvernement israélien ait son mot à dire sur ce qui se passe en Irak, et qui concerne plutôt la "communauté internationale". Bien entendu que c'est une solution politique qui doit prévaloir. Mais je ne crois pas Bibi capable de la mener à bien. Et il n'y a pas vraiment de relève politique viable d ce côté là. Quant au Hamas, il réussit une remarquable contre-offensive médiatique. Quand on sait le type de régime auquel il correspond, on se dit qu'on n'est pas prêt de voir la paix.