Déterminisme musical
Des trois projets présentés lors des Data Days hier midi, l’un m’a particulièrement bluffé. Il s’agit de Pyzzicato (démo accesssible ici) un projet dont le but est de montrer qu’on peut, à l’aide d’un peu d’intelligence artificielle, produire de la musique dans le même style musical qu’un compositeur donné. Le sujet n’a rien d’anecdotique, et sa mise au point ouvre des perspectives larges, en terme de création musicale. Des professionnels se sont d’ailleurs déjà lancés sur ce sujet, comme la société MatchTune (un nom qui évoque beaucoup de choses à lui tout seul), au capital de laquelle on retrouve un artiste connu, André Manoukian.
En soi, le projet Pyzzicato fait penser à la démarche d’OpenAi et à GPT3 : il faut l’alimenter avec un morceau de ce qu’on cherche à copier pour qu’il fonctionne. J’ai déjà parlé de GPT2, la génération avant GPT3, projet derrière lequel on trouve des personnalités comme Elon Musk, et qui explique, dans ses démos, comment leur technologie permet de produire des textes élaborés à partir d’un échantillon de quelques mots. La prouesse technique est évidente, son impact culturel est en revanche beaucoup plus effrayant. Être capable de produire des textes réalistes mais complètement imaginaires, peut aboutir à des résultats diaboliques en terme, par exemple de journalisme ou d’information politique.
Dans le domaine musical, on peut également imaginer des débouchés plus ou moins grotesques, qui relèvent de la manipulation, comme la découverte par exemple d’une demi-douzaine de symphonies inédites de Beethoven. Bien sûr, de tels projets ne tiendraient pas la route auprès de professionnels de la musique, mais dans quelques siècles, une fois que la mémoire commune se sera engourdie, et de telles mystification finiront par intéresser des arnaqueurs en tout genre.
Ce n’est bien sûr absolument pas le cas de Pyzzicato, ni de MatchTune. Il s’agit simplement de produire des contenus musicaux qui s’apparentent à un univers musical, et non de créer de fausses vraies partitions de compositeurs connus. Le marché visé, c’est celui des musiques d’ambiance, de l’accompagnement musical de films d’entreprise, bref de toute cette musique originale (enfin pas tant que ça), qu’on peut s’offrir à des tarifs entre 5 et 30€ le morceau. Et la technologie, pour ce que j’ai vu de Pyzzicato, n’en est qu’aux balbutiements : un seul instrument possible, des morceaux de quelques secondes maximum. Pourtant, la démo m’a bluffé. L’équipe qui présentait le projet l’a illustré sur deux exemples, un extrait d’une fugue de Bach et d’une sonate de Chopin. Dans les deux cas, le résultat ressemblait au morceau initial sans en être une pâle copie. Pire, on avait le sentiment que le morceau généré formait une sorte de conclusion, ou de suite, du morceau initial.
De telles technologies soulèvent le problème du déterminisme musical, que j’ai déjà abordé il y a longtemps. L’histoire mouvementée de HaTikva le montre bien, la même mélodie peut apparaître à divers endroits, et plusieurs époques différentes, sans qu’on n’arrive plus à faire le lien ente ces différentes apparitions. Y a-t-il une infinité de mélodies, ou sommes-nous voués qu’à n’écouter es mêmes, arrangées sous différentes formes. Un programme comme Pyzzicato produit-il toujours le même résultat si on lui injecte le même morceau initial ? Ou bien y a-t-il une fonction « random« , qui prend des chemins différents, une fois les premières notes introduites ?
Ce déterminisme musical, c’est peut-être ce qui distingue l’homme de la machine, au fond. Un grand compositeur, prenez Chopin par exemple, peut produire des centaines de partitions durant sa courte vie. Il se lève un matin, inspiré par ses sens : les odeurs du matin, le dîner de la veille, les bruits de la maison ou encore ses amours en cours. S’il est gai, il produira un air entraînant, s’il est mélancolique, il partira sur une autre voie. Ce sera une sonate ou une fugue, on n’est sait rien. Mais à la fin de la journée, comme disent nos amis américains, il aura produit quelque chose de neuf.
Notre joli programme, lui, n’a pour inspiration … qu’un autre morceau de musique. Il n’a pas d’état d’âme, pas d’amoureuse, pas faim, pas froid.
C’est un artiste talentueux, mais réduit à une démarche procédurale.
L’art et la culture ont encore de beaux jours devant eux.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec