De Nahel M. à Marine L.
Depuis une semaine, la France traverse un de ces psychodrames dont certaines démocraties ont le secret : un événement qui relève principalement du fait divers prend une ampleur considérable, à la fois parce qu’il semble révélateur d’une tendance, et parce que certains organismes y trouve leur intérêt. C’est triste, dangereux, et me laisse profondément désabusé, comme beaucoup.
Commençons par la qualification de fait divers. Un contrôle de police qui tourne mal, il en arrive régulièrement. Parfois parce que les personnes contrôlées, qui ne souhaitaient pas se soumettre aux force de l’ordre pour des raisons qui sont les leurs, et parfois parce que les représentants de l’ordre ont la gâchette un peu facile. Il n’y a rien de déterminant à cela, pas de révélateur d’une situation critique. Disons que dans le cas qui nous intéresse, et qui a conduit à la mort de Nahel Merzouk (merci à Wikipedia de nous communiquer son patronyme…) la semaine passée, les deux causes se sont télescopées. Il est évident qu’un jeune de 17 ans, sans permis, au volant d’une Mercedes qui vaut plusieurs dizaines de milliers d’euros, et qui circule sur la voie de bus, cela intrigue des policiers, fussent-ils à pied ou à moto. Et qu’un contrôle des papiers s’impose. Ceux qui crient au scandale sur ce point précis sont des personnes sans scrupules, qui font exprès de sous-estimer le risque d’accident majeur dans une telle situation – un vélo ou des piétons face à une Mercedes, cela pèse peu…
Mais voir deux policiers sortir leur arme lors d’un contrôle de routine, ce n’est pas non plus anodin. Que l’un d’entre eux tire immédiatement sur le véhicule qui prend la fuite, cela peut se comprendre, mais pas forcément pour tuer le conducteur – il faut reconnaître qu’il a non seulement la gâchette facile, mais sait remarquablement viser sur une cible en mouvement.
Alors oui, le télescopage de ces deux incongruités fait qu’il s’agit d’un fait divers, et rien d’autre.
Mais voilà, d’autres que les personnes impliquées ont intérêt à monter le sujet en épingle, et à susciter les événements qui ont enflammé la France, un an seulement avant le parcours de la flamme olympique, ce qui n’est pas de bon présage… J’en vois au moins de trois sortes.
La première, ce sont les médias. Quel bon sujet qu’un tel sujet, qui divise profondément les français ! Depuis une semaine, plus besoin de se creuser le crâne à chercher un bon sujet pour le JT, il suffit de filmer quelques jeunes émeutiers, un commerçant victime des saccages ou de faire un micro-trottoir sur la remise en cause de la loi de 2017 sur les règles d’engagement de tir des policiers, et le tour est joué ! Et toutes les chaînes se sont jetées dessus avec le même empressement, qu’il s’agisse de chaînes privées ou du service public, de la radio ou de la télévision. Bravo mesdames et messieurs les journaleux !
La seconde, ce sont les politiques des partis extrêmes, de gauche comme de droite. Chacun avec les arguments qui lui sont propres. Méchelon fait mine de rêver tout haut à l’avènement du grand soir, de l’effondrement du capitalisme à grands coups de voitures bélier et de feux d’artifices. Et du côté du RN et des Zemmour boys, et même jusqu’à LR, on en appelle à l’instauration de l’état d’urgence. Mazette, le jour où ces gens-là seront au pouvoir, on ne rigolera pas tous les soirs, on est prévenus !
La troisième, ce sont les petits caïds des cités, cette engeance qui a pris en quelques décennies le contrôle de ces « territoires perdus de la république ». Car LFI et les ténors de la gôche qui martèlent à qui mieux mieux que ces émeutes sont suscitées par la pauvreté et la misère, passent sous silence le fait que ce sont justement ces personnes-là qui souffrent des dégradations imposées par les émeutiers, sur des commerces de proximité, des mairies ou des transports en commun. Pour ma part, je suis convaincu que que ces émeutes n’ont rien de réellement spontané, et sont plutôt le fait de bandes organisées, capables de jouer à la voiture bélier avec une Porsche (vu à la télé) ou d’interdire l’accès à un quartier entier (vu aussi à la télé). Des images qui rappellent par certains côtés deux films, Les Misérables et Bac Nord.
Et que racontent ces deux films ? Pas forcément la pauvreté ou la misère de ces quartiers, mais plutôt l’impuissance de l’État, qui ne peut plus y faire respecter l’ordre et la loi. Qui ne peut plus y déployer son appareil éducatif. Et qui de ce fait les laisse régresser.
Quand on en arrive à venir incendier la maison d’un maire, comme celle de Vincent Jeanbrun, maire de l’Hay-les-Roses, ce n’est pas en raison de la baisse du pouvoir d’achat – les émeutes de la faim, c’est de l’autre côté de la Méditerranée, chers amis journalistes.
Non, quand on met le feu à la maison du maire, c’est qu’on attaque l’État.
Parce que ceux qui l’attaquent considèrent qu’il est devenu faible.
Et ce n’est pas en l’affaiblissant d’autant plus qu’on parviendra à y remédier.
2024 s’annonce décidément sous de tristes auspices…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec