De la démocratie numérique
Blogueur talentueux et fondateur de l’agence Spintank, Nicolas Vambremeersche livre dans « De la démocratie numérique » une analyse intéressante de l’évolution du Web durant ces dernières années, et de l’impact qui en résulte sur nos sociétés modernes. Relativement court, son essai s’appuie sur un constat posé dans la première partie : une analyse du Web, ce réseau de liens à ne pas confondre avec l’Internet, relégué quant à lui au rang de technologie servant justement à construire cet immense réseau.
Cette analyse est à la fois simple est subtile : Versac – c’est son pseudo de blogueur – considère que le Web est la réunion de trois ensembles, non forcément disjoints d’ailleurs puisque Wikipedia est à leur intersection : le Web documentaire, constitué des sites figés « à l’ancienne », le Web de l’information, construit autour des grands medias d’information en ligne, presse et TV confondus, et le Web social, cet immense édifice auquel chaque internaute peut apporter sa contribution, selon son degré d’implication, du commentaire sur Amazon aux blogs les plus évolués ou à Facebook.
La seconde partie de cet ouvrage est consacrée aux impacts de cette segmentation du Web, à ce que cela change dans la vie de nos démocraties occidentales. De l’essor de la Tecktonik à la campagne d’Obama, l’auteur propose différents exemples concrets, tout en disséminant un brin d’analyse sociologique de ci de là.
J’aime les choses simples, et la vision de Versac relève de ces explications limpides qui donnent une vision nette et précise de choses qui auparavant pourraient paraître difficiles à appréhender. A ce titre, cet ouvrage est évidemment de ceux à mettre en les mains de ceux et celles qui auraient manqué, justement, la révolution numérique: globalement les générations née entre les années 1930-1980.
Pour autant, je ne peux m’empêcher d’émettre quelques réserves, aussi bien en tant que lecteur qu’en tant qu’acteur de cet espace public numérique qu’il décrit.
- Les exemples choisis, par exemple, sont parfois à la limite de l’exposé pour la forme. Il y a bien d’autres usages que la diffusion de la Tecktonik pour illustrer les mécanismes viraux. Les références récurrentes aux « skyblogs » sont d’ailleurs somme toute assez agaçante : s’ils représentent la démocratie numérique, passons à autre chose.
- La circulation des idées, est à mon avis un leurre. L’existence de liens physiques entre deux communautés sémantiquement ou politiquement disjointes ne signifie pas forcément que ces liens seront empruntés. L’analyse par le lien est une analyse à plat, à laquelle il manque une dimension importante, celle de la fréquentation de ces liens. Je doute que des données précises existent sur cet aspect là.
- La thèse de l’intelligence collective, qu’il reprend à son compte, me laisse également totalement froid. A mon sens, l’intelligence d’un groupe ne reflète que celle de ses membres les plus brillants, et encore faut-il diviser par la taille du groupe…
- Si la division du Web en trois parties est élégante, la qualification des ensembles est pour le peu rapide. Le Web social n’est pas la panacée. S’il offre un espace d’expression sans limite, il ne mérite pas réellement sa qualification de démocratique : une démocratie ne peut fonctionner sans règles. C’est, paradoxalement, dans les deux autres espaces que des règles, plus ou moins implicites, permettent de respecter le citoyen. L’apparition d’une charte telle que HON relève de ce besoin de limites : rares sont les espaces du Web social, par exemple, susceptibles de respecter les critères de qualité d’une telle charte.
Dernière critique, enfin, émanant d’un esprit plutôt scientifique enclin à toutes formes de nomenclatures et de classifications : il manque un thésaurus et une liste de références à ce livre. Peut-être pour en limiter le nombre de pages à une centaine ?
Bref, s’il n’atteint pas la consistance et la pertinence de l’ouvrage de Tocqueville dont il est un joli calembour, « De la démocratie numérique » mérite de figurer dans de nombreuses bibliothèques de nos compatriotes. Avant que la prochaine révolution du Web ne vienne rendre obsolètes certaines des thèses qui y sont exposées.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Merci de ce billet, y’a des phrases qui flattent l’égo et qui font plaisir. Je pense que tu as bien saisi l’idée de pédagogie des concepts simples / synthèse, illustration. POur les références, je suis bien d’accord, mais l’idée était plus de faire un essai, qui ouvre les discussions, qu’un livre de référence. J’aurais néanmoins du prolonger effectivement avec une page web dédiée, qui reprenne des refs. Manque de temps, comme toujours…
Je prolonge juste sur les regrets/critiques. Car c’est ce qui est le plus intéressant, finalement.
– les skyblogs ne représentent pas la « démocratie numérique ». Ils représentent néanmoins toute une pratique large d’expression sociale, souvent beaucoup plus signifiante que les blogs des trentenaires, moins massif dans leurs suages. Et les skyblogs ne sont pas très éloignés des nôtres.
– La tecktonik me semble un excellent exemple de viralité par reproduction et médiatisation de soi en ligne. C’est un sujet choisi à dessein, que j’avais beaucoup chroniqué sur mon blog. Ca change un peu, en tout cas, des éternels ritournelles du 2.0. Mais j’avoue qu’il y a des tas d’autres exemples : manque de pages, encore.
– la circulation n’est pas un laurre. Ceci-dit, je suis tout à fait d’accord avec toi : proximité ou lien n’implique pas circulation. De fait, je crois que personne ne sait vraiment ce qui détermine clairement le parcours d’une idée ou d’une création à l’heure du web (mais beaucoup disent le savoir). Ceci-dit, quand on dessine la carte et les liens, et qu’on suit le parcours des informations/idées dessus, on voit des dynamiques. Cf. à ce sujet les très bons travaux de linkfluence.
– je ne reprends pas la thèse de l’intelligence collective. J’explique même dans le livre qu’il s’agit d’une idée un peu rapide, pour laquelle les facteurs principaux ne sont pas réunis dans les espaces sociaux (notamment l’indépendance et l’hétérogénéité des acteurs).
– Le web social n’est pas démocratique. En dehors du titre (il faut bien un titre accrocheur), je ne le qualifie pas vraiment de démocratique. J’explqiue quue c’est juste une dimension supplémentaire, déterminante, de l’espace public, une formidable extension. Je crois qu’un besoin de régulation existe, mais je crois peu aux chartes. Je crois à la régulation par la contrainte d’un côté, et la pression du mimétisme social de l’autre. Le web social est plei nde règles implicites, aussi souvent détournées que le sont celles de la rue. Fut un temps, dans la rue, on ne sortait pas sans chapeau, à certains endroits. Et on ne frappait pas un autre, disait la loi. Pareil en ligne, avec d’autres modalités.
Merci pour ce billet, ceci-dit. Ca pointe en creux les défauts ou les manques de ce premier ouvrage. Et ça donne envie de continuer…
Ce type de discussion fait partie des plaisirs du web (que tu cites d’ailleurs dans ton livre), qui permet de pouvoir discuter avec l’auteur du livre qu’on vient de finir…
Concernant les skyblogs, je suis d’accord sur le terme de « pratique d’expression sociale ». Ce que je conteste, c’est leur place dans ton ouvrage. C’est comme parler de la presse française en accordant une place importante à Voici ou Gala… Idem sur la Tecktonik, ton ouvrage mérite mieux que ce phénomène là, qui risque même d’être mal compris par ceux à qui ton livre ferait le plus grand bien, ie les + de 40 ans. D’accord avec toi pour changer des ritournelles du web 2.0, ton ouvrage vise plus large que cela.
Continue à oeuvrer dans ce sens, et pourquoi pas un ouvrage à quatre mains X-HEC pour une prochaine analyse du web social?
Quelques réactions sur des thèmes qui m’intéressent:
1) Oui, l’intelligence sociale existe. C’est le fait que la société accumule des règles (implicites ou explicites: les lois) qui guident le comportement de l’homme, sans qu’il s’en rende compte généralement. D’ailleurs, l’homme seul, aussi brillant soit-il, est totalement manipulé par la pensée sociale – cf. la bulle financière et la horde de génies qui l’a alimentée. Cf. aussi l’incompétence de l’économie qui n’est encore qu’une proto-science, qui n’a pas l’ancienneté, l’accumulation « sociale » d’expériences et de résultats de la physique, par exemple.
2) Je ne suis pas sûr qu’il y ait une énorme circulation d’informations dans le monde du web. Un vétéran du blog disait que les usages s’étaient figés. Il me semble que c’est juste.
3) Je ne suis pas sûr qu’il n’y ait quand même pas quelque chose à débattre concernant la démocratie et Internet. Par exemple, le fonctionnement de Wikipédia correspond d’assez près à ce que semble décrire Governing the commons, un livre d’économie sur la gestion des « biens communs » (zones de pêche, de pâturage, nappes phréatiques…), une gestion que je trouve très démocratique.
à noter un livre ancien sur Internet : Et Dieu créa Internet (qui reflète les idées libertaires de l’époque).
L’intelligence sociale à 2, 3 ou 12, oui. A plus de 100, je commence à en douter, hormis quelques cercles très spécialisés, comme les conférences de chercheurs.
Quant au fait que les usages se soient figés, les changements apparus ces 4-5 dernières années montrent que c’est tout le contraire: de Facebook à YouTube en passant par le téléchargement ou Skype, les usages n’ont eu de cesse d’évoluer…