DAF et Gouvernance, une conférence Objectif CASH
J’assiste ce matin à une des nombreuses conférences qu’organise Objectif CASH, un cabinet spécialisé en direction financière opérationnelle et management de transition. Domaine totalement neuf pour moi, et je vais tenter dans les quelques lignes qui suivent de retranscrire la teneur de ces conférences, leur valeur pour les participants, essentiellement impliqués dans la direction opérationnelle ou la direction financière d’entreprises, en France ou à l’international.
Les moyens. Une bonne centaine de personne, salle comble, réunis dans un des salons de la maison des Arts et métiers. New-CFO est partenaire de la conférence. Il s’agit d’un magazine en ligne d’excellente qualité – j’y suis abonné et rediffuse souvent leurs infos – qui parle de la vraie vie d’aujourd’hui des DAF, de la nécessité impérieuse de communiquer en interne (vers le haut et le bas) ou en externe. Quatre fois par semaine, très exactement, on y retrouve des sujets très variés.
Les intervenants. Bruno COUSIN (Secrétaire Général – Groupe Geoxia), Sandra ESQUIVA-HESSE (Avocate Associé – Paul Hastings), Johann Le DUIGOU(Directeur de Participations – NiXEN PARTNERS), Pierre-Xavier LEMAIRE (Directeur Administratif et Financier – Roquette Frères), Sophie MILLIOT (Directeur Administratif et Financier – Ricoh France), Philippe MISTELI (Directeur Administratif et Financier), Claude ROSEVÈGUE (Directeur Associé – APAX PARTNERS).
La conférence.
On parle souvent de la crise, mais en entreprise, c’est de plusieurs crises qu’il s’agit: crise de confiance, crise liée à des ruptures technologiques, crise lors de transmissions d’entreprise, etc. Le vocable crise masque des réalités diverses. Il y a des entreprises qui sont sorties de la crise, d’autres qui y sont en permanence, d’autres qui enchaînent les crises…
Dans tout cela, le directeur financier doit se déterminer: est-il directeur financier ou DAF? Trop souvent, le DAF se noie non par le « F », mais par le « A », le côté administration (des ventes, du juridique, des assurances, etc.). Il veut parfois s’occuper de tout pour des questions de pouvoir. Et à la fin, ce qui n’est pas fait, c’est le « F »: trésorerie exposée, retards, filiales mal gérées. En réalité, on n’a pas tant besoin d’un DAF stratège, mais d’un DAF pratique, qui agit au quotidien, opérationnel. Il y a aussi des DAF qui veulent « co-piloter » l’entreprise, mais cela ne marche pas du tout: ça peut aider pour juguler une crise, mais en sortie de crise, quand on a besoin d’innovation, de prise de risques, chacun doit reprendre son rôle. Certains DAF veulent être « business partners », mais partenaires de qui? Le DG, ce qu’il veut, c’est que ça tourne. Le binôme, ce n’est pas avec le DG qu’il faut le faire, mais avec le directeur des ventes, le marketing, par exemple.
Depuis deux ans, on constate un retour des fondamentaux dans la gestion: on est dans le « faire », et moins dans le discours. La prévision de trésorerie reste indispensable: celles qui n’en ont pas vont plus vite dans le mur… On peut toujours faire plusieurs hypothèses de CA, et associer des conséquences en terme de plan d’action. Très souvent, le contrôle de gestion est « orienté produit », au lieu d’être aussi « orienté client ». Pour piloter l’entreprise, il faut piloter les marges aussi bien par produit que par client ou famille de clients. La croissance du CA, c’est une hypothèse, c’est de la feuille Excel, ce n’est pas un business plan ni un objectif de management.
La crise n’est pas que négative. On abandonne ses anciens costumes et on se transforme, on innove très souvent. On a alors besoin de prévision, d’hypothèses, d’enthousiasme, et surtout de présence: cela doit être incarné. En terme de management, on peut se serrer la ceinture pendant deux ans, mais il faut que cela s’arrête un jour. La confiance concerne aussi le middle management: un middle management sans objectif, qui stagne en rémunération, c’est un risque important.
Souvent, en temps de crise, le directeur financier sert de fusible. Mais attention, quand on éjecte le DAF, toute l’équipe derrière va se sentir démotivée: cela ne crée pas de la valeur, mais plutôt de la perturbation, des états d’âme. Enfin, il ne faut pas hésiter à intégrer de la diversité dans les équipes, cela crée des résultats: trop peu d’entreprises envisagent une direction financière au féminin…
Comment piloter la création de valeur d’une entreprise: 1/ L’EBITDA 2/ par un multiple 3/ par la dette. Le rôle du CFO, c’est l’anticipation.
- L’EBITDA: c’est le résultat de la société. Le DAF n’a pas d’influence sur le CA, il en a un peu plus sur les charges et les marges. Mais il faut surtout anticiper. Cela ne sert à rien de lire les nouvelles de la veille, mais il faut lire celles de demain! Il faut avoir une vision du futur, en permanence.
- Le multiple: on rentre sur un business donné, une caractéristique du marché c’est le « multiple ». Deux leviers possibles: la croissance, ou bien changer la nature du multiple, par exemple au travers d’acquisition, ou de changement du business. Ex: l’histoire d’Aigle, qui de la vente de bottes en caoutchouc a évolué à la vente de l’ensemble de la gamme de sportswear.
- Contrôler la dette (ou plutôt contrôler le cash): c’est indispensable. En période de crise, il faut suivre de très près la dette et anticiper les demandes de remboursement anticipées (covenances). Ce n’est pas uniquement faire des fichiers Excel, mais suivre tous les mois.
Le CFO ne peut et ne doit pas être le seul dépositaire de la gouvernance. Il faut la partager. Un objectif doit être quantifiable, il faut le mesurer régulièrement; Ce qui est grave, ce n’est pas de ne pas l’atteindre, c’est de ne pas réagir quand on voit qu’on s’en éloigne. Le rôle du CFO, ce n’est pas de faire plaisir et certainement pas de communiquer les chiffres que tout le monde attend. Si on demande de la transparence et de la gouvernance, il faut accepter que des filiales ne reflètent pas forcément ce qu’on a envie de voir. Fermer les yeux en espérant qu’un miracle va se produire sur les 3 derniers mois, c’est assez commun et très risqué. Le DAF ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt.
Dans le conseil de direction des PME françaises, le DAF est soit membre, soit invité. Mais pour jouer son rôle, le DAF n’est pas uniquement là pour relever les compteurs. Divers axes d’analyse pertinents doivent être utilisés. Il y a aussi des éléments à ajouter (ou enlever) des éléments de reporting: certains indicateurs sont pertinents en période de crise, d’autres le sont moins. Le DAF se doit de tirer la sonnette d’alarme quand nécessaire.
Le DAF doit également transmettre l’information, et contribuer à la création de valeur sur des projets spécifiques: on pense souvent au système d’information ou aux acquisitions, mais c’est surtout dans sa capacité à analyser son bilan et dégager du cash qu’il peut être efficace.
En matière de transparence, trop d’information tue l’information. Il est impossible pour une entreprise de maîtriser l’intégralité des contraintes qui lui sont imposées en matière d’information financière, et particulièrement pour les entreprises présentes à l’international: c’est virtuellement « mission impossible ». Cela crée d’ailleurs plus des problèmes psychologiques que des problèmes purement juridiques. Or un manager sous pression peut avoir du mal à bien accomplir sa mission.
Dans les gros LBO, le stress est maximum pour les CFO lors des périodes de crise. En gestion de crise, il faut faire des arbitrages et ne s’appuyer que sur les bons, car seul, on ne peut rien faire. Il faut aussi des systèmes d’information qui tiennent la route: trop d’indicateurs peuvent se contredire: une marge sur un client peut venir de différentes sources, mais laquelle est la bonne? Si le système d’informations n’a pas été construit avant la crise, on souffre… Le moyen de transport du CFO, c’est l’hélicoptère: il doit être capable de monter prendre de l’altitude et de zoomer en permanence, et très vite.
Stiglitz a été l’un des premiers à se focaliser sur les risques liés au rôle du CFO. L’éthique est un élément clé. Selon Kaplan (prof Harvard), une société est un ensemble d’acteurs (associés, actionnaires) qui évoluent dans un écosystème de partenaires, à qui il faut donner de l’information: c’est cela la gouvernance. Il y a 3 éléments importants: complexité, évolution, formalisme.
- la complexité du rôle du DAF a significativement crû ces 20 dernières années
- la fonction du DAF a fortement évolué: il y a 20 ans il était surtout contrôleur, il doit toujours l’être (avec des compétences spécifiques: informatiques, par exemple) mais aussi un partenaire de ses collègues du comité de direction, vis a vis du CE, des acteurs à l’extérieur de l’entreprise. La « technique » du job ne suffit plus, il faut être pro-actif, et cela repose sur un système de reporting, de KPI (Key Performance Indicators) pour alerter ses collègues en temps voulu
- le formalisme a augmenté de manière exponentielle: SOX, etc…Il y a désormais trop d’obligations, et le DAF ne peut les maîtriser toutes. Il faut désormais faire appel à des consultants extérieurs, des avocats, etc.
Dans Think Twice, Michael Mauboussin explique comment on peut améliorer la prise de décision. Il y a 3 étapes:
- on a tendance a réagir de manière standard face à des situations diverses: il est extrêmement utile de réfléchir différemment, sortir du cadre (think outside the box)
- il faut reconnaître les éléments clés des situations
- il faut maîtriser les techniques, les outils
Fin des débats et séance de questions réponses.
Une conférence très intéressante, tant par la diversité des profils des intervenants (PME vs. grand groupe, CFO pur jus vs. juriste, jeune vs. senior, homme vs. femme), ce qui permet de multiplier et de croiser les expériences et les points de vue. C’est évidemment une conférence que je recommande à tous mes amis CFO, qu’ils soient ou non en train de traverser la crise…
Voici enfin quelques interviews réalisées à l’issue de la conférence.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec