Connaissez-vous Wagner?
Connaissez-vous Wagner ? Non pas Richard, le compositeur allemand aux symphonies puissantes, dont les oeuvres ont aussi bien marqué l’histoire de la musique que l’imaginaire des dignitaires nazis. Je parle d’un Wagner plus récent, qui fait l’objet de mentions de plus en plus fréquentes dans la presse. Cette société russe privée, à la réputation sulfureuse, met à disposition de régimes plus ou moins corrompus des troupes de mercenaires, anciens soldats russes ou repris de justice, à la recherche de destinations pittoresques et de décharges d’adrénaline régulières.
La chaîne publique France 5 diffusait il y a quelques jours un des rares documentaires consacrés à cette société. Un reportage d’autant plus intéressant, que d’anciens membres de ce groupe y témoignent, dont certains à visage découvert. Ce documentaire est encore disponible en replay jusqu’à début avril 2022, vous auriez tort de passer à côté.
Née il y a une dizaine d’années, sous l’impulsion d’un ancien officier russe, Wagner appartient désormais à un homme d’affaire russe, Evgueni Prigojine, qui a fait fortune dans la restauration, et a su se diversifier dans d’autres secteurs, toutes liées à la sécurité, point commun entre ses activités sur Internet, ce groupe paramilitaire et la nourriture : il faut bien défendre ses intérêts et se préserver des menaces extérieures ?
Wagner s’est illustré notamment aux côté des forces syriennes, dans la lutte contre Daech, subissant parfois de lourdes pertes, et n’hésitant pas, comme le montre le documentaire, à répliquer avec la même violence absolue que ses adversaires.
Depuis quelques mois, Wagner a débarqué en Afrique, dans ce qui était autrefois le bastion de ce qu’on appelait autrefois la « France-Afrique ». Les problèmes que rencontre la France au Mali en sont l’une des conséquences, les putschistes qui ont pris le pouvoir il y a quelques mois s’appuyant sur le conseil – et l’aide opérationnelle, probablement – de membres de cette organisation.
À quoi sert Wagner ? À rendre certains services non officiels à la puissance qui abrite ses dirigeants ? À consolider la fortune de ces dirigeants, par le biais d’opérations annexes sur les territoires investis ? À intervenir sans le dire, et sans avoir à supporter les coûts, aussi bien économiques qu’humains, d’une intervention officielle sur un territoire distant ? Un peu de tout cela à la fois.
En soi, l’appel à des mercenaires ou à des sociétés militaires privés n’est pas forcément une innovation russe. De légendaires mercenaires français ont eu leur heure de gloire au siècle dernier. Et d’autres entreprises du même type ont existé par le passé, comme la sulfureuse Blackwater, dont on se souvient des agissements lors des conflits récents en Iraq ou en Afghanistan. C’est peut-être une tendance à suivre, à l’heure où les pays surendettés cherchent à réduire le coût de l’entretien de forces armées, de faire appel à des entreprises privées, supposées être plus efficaces que des organisations financés parles fonds publics.
Mais Wagner n’est pas que la forme la plus récente du métier de mercenaire. Le monde évolue, les puissances coloniales du 19ème siècle ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes, empêtrées dans des dettes abyssales et des régimes qui manquent de vision à long terme. Les Etats-Unis sont engagés dans une phase de repli sur soi dont l’évacuation précipitée d’Afghanistan n’est que le dernier avatar. D’autres super puissances ont saisi l’opportunité qu’offre le vide laissé par ces puissances occidentales. Nous avons la chance de vivre un moment de grand chambardements géopolitiques, plus porteur d’appréhension que d’espoirs. L’émergence d’une société comme Wagner en fait partie.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec