Claude Deschamps
J’ai appris avec tristesse le décès de Claude Deschamps, il y a quelques jours. Il était mon prof de mathématiques, en math’spé, durant l’année scolaire 1983-1984, en binôme avec Suardet en physique. Je garde de lui des souvenirs impérissables. Il était très différent de Bloch, mon profs de math’sup. Grand, baraqué, il avait une carrure de déménageur, et me faisait penser à un personnage qui figurait à cette même époque dans une publicité pour je ne sais plus quelle entreprise. Cela le rendait assez facile à caricaturer, et je me souviens d’avoir parodié l’affiche d’un James Bond sorti à cette même époque, un remake avec Sean Connery, où j’avais remplacé l’acteur par Claude Deschamps.
Claude Deschamps, un professeur talentueux
Claude Deschamps était un excellent professeur. Son cours était d’une limpidité et d’une rigueur extrême, et je dois avouer que j’ai eu beaucoup de chance de tomber sur ces deux enseignants, Bloch et Deschamps. D’autres professeurs de mathématiques étaient plus brouillons, ou moins clairs, et les taupins qui étaient tombés sur leur classe en pâtissaient.
Avec Claude Deschamps, c’était clair et complet.
Il faut dire qu’il avait participé à l’élaboration d’ouvrages de référence, un excellent cours de maths pour les élèves de prépa, en quatre tomes, qu’on appelait affectueusement le Ramis-Odoux, oblitérant le nom de notre cher professeur de maths pour rendre hommage à sa modestie – une blague de taupin assez classique. Il faut dire que, si mes souvenirs sont bons, Ramis et Odoux étaient plus vieux que Deschamps, et avaient sorti leurs premiers bouquins avant qu’un troisième auteur n’arrive…
Claude Deschamps était surtout un prof qui incarnait son rôle à merveille; Il fallait le voir faire semblant de s’emporter pendant une khôlle ou quand un élève séchait au tableau, se saisissant parfois d’une chaise ou d’une table qu’il faisait tournoyer au-dessus de ses larges épaules : « mais qui m’a fichu un pareil incapable ! ». Il avait également un tic de langage assez caractéristique : lorsqu’il était au milieu d’un exercice très calculatoire, ou pour qualifier un problème qui ne demandait pas beaucoup d’intelligence mais plutôt de l’opiniâtreté, il utilisait le terme « sciant », plutôt que de dire « chiant »…
… avec un excellent « track record »
Deschamps était surtout réputé pour le taux de réussite de sa math’spé, la M’3 de Louis Le Grand, au concours de l’X – par opposition à son collègue André Warusfel par exemple, dans la classe d’à côté, qui avait la réputation de préparer plutôt au concours de Normale Sup. De mémoire, sur ma classe de quarante élèves, parmi lesquels 32 étaient 3/2 et 8 étaient 5/2, 37 sont entrés à l’X. Un a fini à Centrale, un autre à Normale’Sup et le dernier, hélas, a mis fin à ses jours à la veille des concours.
J’ai croisé, chez Deschamps, des personnalités assez incroyables, comme Bernard Tanguy, futur patron de SSI mais surtout artiste, musicien et cinéaste. Ou encore Thierry Koskas, un lointain cousin au parcours impressionnant chez Renault et actuellement Peugeot/Stellantis. Ou encore Vincent Paris, DG de Sopra-Steria, Andre Roussel, CEO d’Ariane Group et Christophe Perillat-Piratoine, CEO de Valeo. Et d’autres encore, aux parcours plus originaux, comme Raphael Bui, devenu prêtre, ou QT Luong, qui après un parcours dans la recherche est devenu photographe et dont j’ai déjà parlé sur ce blog. Mais le plus étonnant était mon voisin, qui portait le même patronyme que Claude Deschamps, sans avoir de lien familial avec lui. Nicolas Deschamps m’a été d’une aide incroyable, pendant toute cette année, car même si j’allais en cours durant Chabbat, je ne prenais aucune note le samedi, et je repartais avec le cours de mon voisin, pour le retranscrire le dimanche et le lui rapporter le lundi. Qui a dit qu’il n’y avait aucune solidarité en prépa ?
Il y avait de vraies tronches dans cette classe, Thierry Koskas, déjà cité, et Olivier Catoni, rentré à Ulm, et parfois Deschamps s’adressait directement à eux, une manière de dire : les autres, vous pouvez essayer de suivre, mais c’est probablement trop dur pour vous… Pour ma part, je n’étais pas un élève particulièrement brillant chez Deschamps, je naviguais juste dans la moyenne de la classe, et me faisais remarquer plus par mes dessins que par mes résultats. Mais j’ai quand même réussi à majorer au dernier DST cette année-là, un peu par chance, et un certain goût pour la recherche d’informations… Deschamps nous avait en effet prévenus que pour ce contrôle, il fallait venir avec une calculatrice, ce qui est assez incongru en maths spé. Un signal faible, que je me suis permis d’exploiter. Tout le monde aurait pu le faire, mais je crois avoir été le seul… En guise de préparation, j’ai refait tous les problèmes que j’ai pu trouver dans les annales de la RMS, et je suis tombé sur l’épreuve en question, proposée à l’ENSAE quelques années auparavant. Cela me permit de majorer la dernière épreuve de maths spé, tout comme j’avais majoré les deux premières épreuves de maths sup, mettant un terme sur une note positive et encourageante à ces deux années si particulières, une excellente mise en condition pour les concours qui se déroulèrent quelques jours plus tard.
Bien entendu, Deschamps ne fut pas dupe, et me remit ma copie avec un dédain assez significatif, comme s’il voulait m’adresser un dernier message subliminal.
« La fin ne justifie pas les moyens.«
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Il m’a aussi laissé une impression très forte. En fait il me faisait peur, il n’y a pas d’autre façon de le dire… Les colles avec lui après les cours, quelle angoisse. Mais aussi quelle super préparation il nous a donné pour les concours! Merci et RIP Monsieur Claude.
Oui, il était impressionnant – mais en même temps, il s’intéressait probablement à ses élèves un peu plus que la moyenne.
Moi, c’était la XM’2 avec Georges Flory (1921-2009), dans un autre genre que Claude Deschamps : plutôt malingre et maniant l’humour (j’ai rassemblé un Florylège).
Avec des résultats à l’X moins bons que 37/40: 27 reçus sur 42 élèves.
Et encore, hier soir un ami me rappelait que c’est 37 en deux ans (3/2 et 5/2). Mais seulement 30 sur une année, soit 9% de la promo…
Notre promo c’était 31 reçus à l’X … tout comme l’année d’avant de mémoire …
31 en 3/2, le reste en 5/2
Bonjour,
Je vois que cet homme avait l age de mon grand père. Vous avez eu la chance de connaitre des gens bien plus interessants cultivés et intelligents que ceux auquels ceux de ma génération ont eu droit. Je vois également que dans les années 83-84 les gens etaient encore tolerants et ne jugeaient pas les autres en fonction de leur religion ou origine ethnique ce a quoi je n’ai pas eu droit helas.
Si ce que vous dites de cet homme est vrai alors que la paix de DIEU soit sur son âme.
C’etait quand meme mieux les années 80 vous n’aviez pas d ordinateurs et autres jeux videos mais vous utilisiez vos cerveaux et l acteur vedette c’etait sean connery! Dommage je n’étais pas encore né!
Une cérémonie d’hommage à Claude Deschamps est prévue le 14 mars 2023 (un an après sa disparition) au lycée Louis-le-Grand.
L’inscription est requise pour l’accès au lycée:
https://framaforms.org/claude-deschamps-1675456322
Merci, on tâchera d’y être
J’ai moi aussi des souvenirs très fort de la spé
(non pas LLG mais LSL)
Souvenirs de prépa
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https://paysdepoesie.wordpress.com/2015/01/13/souvenirs-de-classe-prepa/
Pantalon de sinople et chandail d’azur sombre,
Un étudiant rêveur dialogue avec son ombre ;
Il se tient tout le jour immobile et songeur,
Un fier bouffon d’argent épinglé sur son coeur.
Un maître lui apprend à dominer les nombres :
Souvent, quand vient le soir, son esprit s’en encombre,
Calculs sans solution, bataille sans vainqueur,
Car cet art numérique a des traits ravageurs.
Il insiste pourtant, puis au prof rend la feuille.
Le maître, en la lisant, quelque peu se recueille,
Et dit : — Ce que je vois est un peu décevant.
Or, pour donner congé à ces équations vaines,
Il part se promener sur les bords de la Seine,
Comme fit autrefois Cosinus, le savant.
Très sympa ce petit sonnet de taupin
Merci à vous, Hervé Kabla (et à Roger Mansuy s’il vient lire cette page).
C’est en effet en tapant « Claude Deschamps » dans la petite fenêtre magique de Google, que je suis tombé il y a quelques semaines sur ce site et sur cette page, et que j’ai pu lire le message déposé par Roger Mansuy, à propos de l’hommage qui serait (et qui l’a été depuis) rendu à notre professeur le 14 février dernier. Et profitant d’un rare et court séjour à Paris (j’habite pratiquement à la pointe la plus occidentale de la Bretagne), je me suis organisé pour pouvoir y assister.
Un moment de nostalgie en retrouvant, après presque un demi-siècle, les murs et les couloirs de ce bon vieux lycée…
Emotion mêlée de sourires, lorsque les différents intervenants sur l’estrade et dans la salle ont chacun apporté leur témoignage.
J’ai eu le privilège, car cela a été un véritable privilège, d’être dans la classe de Claude Deschamps en XM1 à LLG en 1973-1974 (et l’année suivante également… en compagnie, entre autres, de Thierry Breton, qui était assis à la table derrière la mienne).
C’était il y a 50 ans, à 6 mois près ! Un demi-siècle ! Je me rends compte maintenant que Claude Deschamps n’avait alors que 32 ans… (l’âge de mon plus jeune fils…) C’était sa première année d’enseignement en Maths Spé (après une ou deux années en tant que prof de Maths Sup). Il succédait alors à un autre professeur emblématique de LLG, Ghouti Benmerah (1915-2008), qui venait de prendre sa retraite, et à qui d’ailleurs, Claude Deschamps avait demandé d’assurer des khôlles (je revois Benmerah, lors de l’une d’entre elles, me lançant, derrière ses lunettes noires, avec son léger accent algérien : « Mais vous me racontez des histoires de brigands ! »).
Claude Deschamps était un enseignant exceptionnel. Il exposait son cours avec une très grande clarté, les définitions et démonstrations s’enchaînant de manière ordonnée, rigoureuse, naturelle, et de notre côté, la compréhension était instantanée. Il ne s’embrouillait jamais dans ses démonstrations, toujours élégantes.
D’autant que je n’ai pas le souvenir qu’il s’appuyait sur la moindre note…
Il nous tirait tous vers le haut, et avait, parmi ses nombreux talents, celui de nous faire puiser en nous-mêmes les ressources pour aller encore plus loin. Il était exigeant, mais avec une juste mesure.
Avec son humour particulier, il émettait parfois, entre deux démonstrations, ou lorsque l’un d’entre nous passait au tableau, diverses réflexions (j’avoue que quelques unes d’entre elles (quelques unes seulement) ne seraient pas accueillies aujourd’hui avec le même sourire par tous et toutes (surtout)). C’est ainsi qu’il nous parlait des difficultés à garer sa 2CV dans le quartier. Ou de sa fille Julie qui venait de naître (elle était d’ailleurs présente à l’hommage et a été très surprise lorsque je lui ai révélé que notre classe avait entendu parler d’elle dès sa naissance).
Il y a 3 ans, j’avais pu avoir un contact avec Claude Deschamps, via Linkedin. Et j’avais pu ainsi, tout simplement, lui dire… merci !
Il m’avait très gentiment répondu.
Claude Deschamps respirait tellement l’énergie, la force, que j’ai été stupéfait, il y a quelques mois, d’apprendre son décès. Stupéfait et très attristé, tout comme lorsque j’avais appris, quelques années auparavant, celui d’André Warusfel, ce bon vieux Warus, qui avait été mon professeur en HX2. Un autre professeur emblématique de LLG !
Cordialement.
Philippe OILLO
(LLG de 1972 à 1975)
Il serait intéressant d’avoir une description de ce que fût également André Warusfel, en tant que prof et khôlleur?
Tous ces profs de LLG auront été des légendes …
André Warusfel ; co-auteur des Aleph1, Terminale CE, Hachette
Claude Deschamps appartient à ce groupe exceptionnel de professeurs de mathématiques de l’Éducation nationale qui a mené les lycéennes et lycéens vers l’excellence scolaire en mathématiques dans les années 80 comme l’attestent les résultats aux Olympiades internationales de mathématiques [1] .
Voici quelques uns d’entre eux qui ont exercé au lycée Louis-Le-Grand, et dont j’ai eu la chance de bénéficier de leur enseignement, de septembre 1974 à juin 1979.
Mlle Minois (1C, TC), Daniel Mollier (HX), Jacques Chevallet (M), Claude Deschamps (M’).
[1] Olympiades internationales des mathématiques, https://www.imo-official.org/