Churchill
Un ami m’a récemment offert un livre, que dis-je, un pavé de plus de 1200 pages, qui doit bien peser dans les 2kgs, dans lequel je viens de passer mes trois derniers mois de lecture. Pourquoi avoir passé autant de temps à lire ce livre ? Il y a plusieurs raisons à cela. Le nombre de pages influe effectivement, mais il m’est arrivé d’avaler des pavés similaires en deux fois moins de temps, et la véritable incidence de ce gros volume, c’est qu’on peut difficilement en avancer la lecture dans le métro…
Introducing Mr Winston S. Churchill…
Mais c’est surtout le sujet, et la manière dont il est traité, qui a mobilisé mes forces durant près de douze semaines. Ce livre d’Andrew Roberts, tout simplement intitulé Churchill, est une biographie d’un des personnages les plus illustres et les plus complexes du 20e siècle, Winston S. Churchill.
Ce livre ambitieux couvre toute la vie de Churchill, depuis sa conception, pourrait-on dire, jusqu’à ses funérailles et son héritage intellectuel, en passant par toutes, je dis bien toutes, les étapes de sa longue vie – il est décédé à 90 ans, plus âgé que toutes les grandes figures qu’il a côtoyé durant les deux grands conflits auxquels il pris part, de manière différente.
Pour le commun des mortels, Churchill est juste l’une des cinq ou six grands protagonistes de la seconde guerre mondiale : Churchill, Roosevelt, Staline et De Gaulle du côté des gentils, Hitler et Mussolini de l’autre. C’est ce que le lycéen moyen tire en général de l’enseignement de l’histoire. C’est juste, mais c’est très juste, comme dirait l’autre. Winston S. Churchill mérite un peu plus qu’une description aussi courte.
Churchill fut bien plus qu’un chef de guerre, aux commandes de la seule nation à avoir combattu d’un bout à l’autre du conflit et à en être sortie parmi les vainqueurs. Et le propos de ce livre, c’est de nous montrer que tout ce que cet illustre personnage avait vécu jusque là vint à point nommé pour le préparer à traverser les épreuves de la seconde guerre mondiale, dans les meilleures conditions.
Un personnage légendaire
Ce livre retrace donc toutes les étapes de sa vie, à commencer par son enfance à l’écart de ses parents qui préféraient une vie de frivolité à l’éducation de leurs rejetons, ce qui lui confèrera à la fois une certaine indépendance de vue et une propension à rechercher la reconnaissance des autres. Puis son engagement militaire, aux quatre coins de l’empire britannique auquel il fut attaché jusqu’à ses derniers jours : il servit aux Indes, puis en Afrique, où il fut fait prisonnier avant de s’évader de façon assez rocambolesque. Ses différentes aventures le conduisent alors à prendre une décision étonnante : les raconter à un large public, soit dans la presse, soit par le biais de livres – il en publia de nombreux tout au long de sa vie, ce qui contribua à lui assurer des revenus à la hauteur de son train de vie.
Son engagement en politique fut le premier vecteur de sa vie. Sur les traces de son père qu’il vénérait, mais qui disparut alors qu’il sortait à peine de l’adolescence, il s’engage sur la voie de la Tory Democracy, une sorte de conservatisme paternaliste empreint de mesures sociales significatives à l’aune de la révolution industrielle et du début du 20e siècle. Cette particularité va le conduire à des choix politiques étonnants : il commença par exemple sa carrière chez les conservateurs, puis les quitta pour se joindre aux libéraux pendant vingt ans, avant de venir rejoindre les rangs des conservateurs pendant les quarante années suivantes. Pour vous faire une idée de ce que cela représente, imaginez un élu RPR un peu voyant, type Jacques Chirac ou Alain Juppé, qui passerait au PS pendant vingt ans, avant de revenir à l’UMP…
But we shall never surrender…
C’est surtout par son impact sur les deux conflits mondiaux que Churchill a laissé une trace dans l’histoire. Son rôle pendant la première guerre mondiale fut certes limité, suite à l’expédition désastreuse des Dardanelles. Il dut toute sa vie payer les conséquences de cette histoire dont le travail d’Andrew Roberts livre tous les détails. Mais c’est surtout le rôle qu’il tint pendant la seconde guerre mondiale qui marque les esprits à jamais. Un rôle qu’il put tenir grâce à sa persévérance et à sa constante opposition au nazisme durant sa traversée du désert, la décennie qui précéda le conflit, durant laquelle il fut l’un des très rares politiques en Europe à refuser de céder face aux chantages d’Hitler, et de privilégier la paix à tout prix, comme Chamberlain et d’autres leaders britanniques. Sa défiance face au nazisme et au communisme était une seconde nature, la première étant sans doute un goût prononcé pour le combat, sous toutes ses formes.
Churchill a laissé sa trace dans l’histoire non seulement par ses décisions, non seulement par ses écrits, mais aussi par ses discours. Il en prononça des milliers, véritable machine à mobiliser les troupes, et à hypnotiser jusqu’à ses plus farouches adversaires… Andrew Roberts, dans cette biographie détaillée, livre les cinq secrets de sa méthode pour préparer ses discours, des discours qu’il apprenait par coeur – il avait une prodigieuse mémoire – et qu’il récitait sans avoir besoin de se référer à ses notes. Cerise sur le gâteau, Churchill était doté d’un sens de la répartie si célèbre, qu’on en vient à lui attribuer des répliques qu’il n’a sans doute jamais prononcées, mais qui dans notre imaginaire collectif, ne peuvent être issues que de ce grand homme.
Si vous avez quelques semaines et de longues soirées libres devant vous, lancez-vous dans la lecture de ce livre extraordinaire, qui fourmille de milliers de noms (un index des protagonistes aurait été du meilleur effet, même au prix de 50 pages supplémentaires), de noms de lieux (munissez-vous d’un atlas géographique avant de démarrer…) et de détails, certains insignifiants comme la composition des menus lors de ses voyages transatlantiques, et certains plus touchants comme la correspondance qu’il entretint avec sa célèbre épouse, Clémentine.
Vous n’en sortirez peut-être pas plus calé en histoire, à moins d’avoir une mémoire d’éléphant. Mais vous prendrez la dimension de ce que signifie être à la tête d’une démocratie, fut-elle une monarchie parlementaire, en temps de guerre : ce que signifie mener un combat essentiel contre les forces du mal, tout en bataillant sur le front intérieur, et en préservant l’essence même d’une démocratie.
Toutes choses qui ne risquent pas de passer de mode, n’est-ce pas ?…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec