Christophe Barbier, patron de rédaction et ambassadeur plurimédia
Quel est le rôle d’un patron de rédaction? Comment fonctionne un hebdomadaire comme l’Express? Quel est l’impact d’Internet et des médias sociaux comme Twitter sur le fonctionnement d’un « news magazine »? Voilà le type de question auquel Christophe Barbier, emblématique directeur de l’Express depuis 2006, a bien voulu répondre ce matin devant le petit groupe d’X-Media (les X dans les secteurs des médias). En voici un compte-rendu très dense.
C’est la première fois que je rencontre Christophe Barbier. Paré de son éternelle (paraît-il) écharpe rouge autour du cou, il commence par un exposé de près d’une heure, avant de répondre à toutes les questions que nous avons pu lui poser.
Le rôle d’un patron de rédaction, c’et d’être un ambassadeur plurimédia
Partant du constat qu’un journal ne se suffit plus par lui-même dans sa forme écrite, qu’il doit s’élargir vers l’audiovisuel (note: sauf le Canard Enchaîné…), C. Barbier applique ce principe à tous les journalistes de sa rédaction, à commencer par lui-même. Il sort d’ailleurs juste de son intervention matinale sur I>Télé. Cette intégration plurimédia est nécessaire, mais elle est profitable à tous.
- l’audiovisuel profite de la capacité éditoriale de ces experts du contenu que sont les journalistes
- les journalistes de la presse écrite profitent de la chambre d’écho du web, de la radio et de la télévision pour amplifier la portée de leurs propos
- d’abord la photo, souvent via les médias sociaux, et principalement Twitter
- ensuite le son
- et pour finir, l’expert qui doit prendre position très rapidement
- une chaîne de télévision généraliste
- une chaîne d’info en continu
- un quotidien national ou régional d’envergure
- un hebdomadaire
- une radio
- une maison d’édition
Un tel groupe serait capable de couvrir tout le spectre de l’information, du plus chaud (internet, réseaux sociaux) au plus froid (maison d’édition).
Cela n’existe pas en France, du fait du manque de vision industriel des actuels patrons de presse, et de la législation contre les monopoles. Lagardère et Bolloré ont essayé sans aller jusqu’au bout. Les politiques sont, dans l’ensemble, réfractaires à cette évolution pourtant nécessaire: la gauche a peur de se retrouver face à un grand groupe influent, et la droite française est étatique et non libérale.
Pourtant, c’est l’évolution rencontrée partout ailleurs dans le monde: Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis, etc.
Cependant, C. Barbier rappelle que le lecteur est suspicieux: si une trop grande concentration de médias existe aux mains d’un seul groupe, le lecteur y verra un conflit d’intérêt. C’est déjà le cas pour Dassault ou LVMH, cela le serait encore plus dans le cas où un groupe étranger, par exemple Qatari, prenait le contrôle d’un pôle média fort.
Le métier de journaliste évolue
Un journaliste ne peut plus se contenter d’un seul média: il doit être plurimédia, capable aussi bien d’écrire pour le web à chaud, pour de la presse papier avec un peu plus de maturation de ses sujets, d’embarquer avec lui des moyens photo ou vidéo léger. Bien sûr, il ne s’agit pas d’être un expert de toutes les formes de communication, et tous les styles sont autorisés.
Les écoles (CFPJ, IEJ) ont fait leur mutation et adapté leurs formations à cette approche. Malheureusement, on voit souvent sortir des profils qui savent un peu tout faire, mais qui manquent de caractère, de spécialité. La polyvalence affadit.
Pour un journaliste, Internet est un catalyseur qui permet de progresser. Le site web génère le trafic, les réseaux sociaux (blogs et Twitter) permettent de développer la notoriété.
L’organisation du travail doit elle aussi évoluer pour tenir compte de ces contraintes. Il faut réorganiser le temps de travail pour inclure cette présence globale. C’est un problème difficile. Pour le directeur de rédaction, par exemple, en plus de son travail éditorial, il faut ajouter plusieurs participations sur d’autres médias (télévision, radio) qui ne sont plus occasionnelles mais régulières, tout en conservant son rôle de management. Au niveau du journaliste, il faut adapter sans cesse ses priorités. A Internet les sujets chauds, au papier les sujets qui ont eu le temps de maturer.
A chaque époque, son média de référence. Mai 68 s’est vécu à la radio, Mai 86 à la télévision, et le printemps arabe de 2011 sur Internet.
Mais Internet a une autre caractéristique: il refroidit tous les autres médias. A quoi bon écrire un papier qui paraîtra le lendemain ou le surlendemain, quand l’info a déjà fait le tour des réseaux sociaux, et a déjà été traitée sur le site web des grands quotidiens? C. Barbier considère, en tout cas, que les médias sociaux, et surtout Twitter, sonnent le glas de France-Infos., et adopterait même la posture de FOG qui considère que « pour la presse, l’actu est morte« , il ne sert à rien de traiter l’actu à chaud quand on est un hebdo, car les autres médias auront tout dit quand on sera dans les kiosques.
C. Barbier cite deux exemples pour étayer les propos de Giesbert: la guerre au Mali et la démission du Pape. Dans les deux cas, Le Point et l’Express on fait leur couverture sur ces événements, et on connu dans les deux cas de mauvaises ventes, alors que le Nouvel Obs se maintenait la même semaine, en faisant sa Une sur le cholestérol…
Qu’est ce qui mérite d’être imprimé?
Telle est la question à laquelle un hebdo de news doit répondre. Pour Christophe Barbier, la réponse tient en deux concepts:
- l’exigence intellectuelle
- la prise de position éditoriale
Pour lui, l’imprimé, c’est ce qui reste (note: à l’heure du web, je me pose vraiment la question…)
La course à l’actu est perdue pour les news magazine, il faut donc se focaliser sur la fonction principale, qui se décline sur trois axes:
- une enquête scrupuleuse
- une prise de position courageuse
- et le débat qui va avec
Christophe Barbier utilise Twitter, plutôt bien d’ailleurs, pour un patron (viendra-t-il à notre conférence sur les patrons qui tweetent?…).
Twitter, c’est le nouvel invité dans le paysage des médias, un invité très perturbant, qui change la donne ans de nombreux secteurs. Par exemple, les résultats des élections, publiés sur Twitter (même si c’est de manière plus ou moins explicite, cf. #RadioLondres) avant l’heure de fermeture du scrutin. Ou encore l’annonce par la police de l’arrestation des deux terroristes qui ont ensanglanté l’édition 2013 du marathon de Boston, diffusée sur Twitter alors qu’on aurait, il y a quelques années, eu droit à une conférence de presse devant les caméras de télévision.
Twitter est un excellent laboratoire pour tester le potentiel d’une news. La Une de l’Express est diffusée sur Twitter le mardi après-midi, la veille de la sortie dans les kiosques. Cela crée souvent le buzz, anime les débats de la soirée à la télévision ou à la radio. Twitter permet de mesurer la « réaction épidermique ». Il donne une mesure du potentiel d’un papier, d’une info, et permet d’anticiper et de comprendre ce qui se passera ensuite sur les autres médias….
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec