Balles tragiques à Gaza
Les images en provenance de Gaza sont terribles, bien sûr: qui peut voir passer des photos de dizaines de cadavres sans réaction? Ni moi, ni vous, et quelle que soit la nationalité ou des personnes tombées sous des balles. Au-delà de ce point de vue, il faut quand même se poser des questions de base sur la présence de jeunes, voire de très jeunes enfants, d’handicapés et de vieillards, à proximité de tout ce qui ressemble à une ligne de front. Je ne me souviens pas qu’on l’on fît la guerre, en Europe, en envoyant d’abord les faibles au front, pour les voir tomber et pavoiser sur leur mort. Mais passons. La question qui se pose, aujourd’hui, c’est comment sortir de ce type d’impasse. Car ne nous leurrons pas, si les morts continuent de tomber, cela ne sera pas sans conséquence sur les israéliens, que ce soit de nature politique, géopolitique ou sociétale. Le problème de ce conflit, c’est l’asymétrie non pas des moyens, mais des objectifs: Israel et le Hamas ont de objectifs paradoxalement conciliables, et c’est ce que je me propose de montrer ici.
L’objectif, côté Hamas, est simple: célébrer la Naqba, l’anniversaire de la création de l’état d’Israël, dont on fête cette année les 70 ans, en faisant plus de bruit qu’auparavant. Contrairement à ce que les médias disent, ce n’est absolument pas l’opposition au déménagement de l’ambassade américaine, mais bien la Naqba qui occupe l’esprit des dirigeants du Hamas. Bref, il faut faire du bruit, pour mobiliser les opinions internationales.
Côté israélien, l’objectif est tout aussi clair: empêcher tout franchissement de la clôture de séparation, la frontière qui sépare le territoire israélien de la bande de Gaza, dont Israël, souvenez-vous, s’est unilatéralement retiré il y a quelques années.
Dans la confrontation de ces derniers jours, deux facteurs permettent de mesurer l’atteinte ou non de ces objectifs:
1/ y a-t-il franchissement de la bordure ?
2/ y a-t-il du bruit médiatique ?
Ces deux critères permettent de distinguer quatre issues possibles.
Franchissement | Pas de franchissement | |
Il y a du bruit | Hamas 🙂 Tsahal 🙁 |
Hamas 🙂 Tsahal 🙂 |
Il n’y a pas de bruit | Hamas 🙁 Tsahal 🙁 |
Hamas 🙁 Tsahal 🙂 |
Ce schéma n’a pas tellement changé en quelques cinquante années (souvenez-vous qu’avant 1963, la prise de conscience nationale Palestinienne était plutôt faiblarde, voire inexistante). Faire du bruit reste la stratégie principale des mouvements nationalistes palestiniens. C’est la nature du bruit qui a changé: alors que l’OLP se satisfaisait de quelques attentats ou prise d’otages, le Hamas a adopté une philosophie plus spectaculaire. Le processus de paix initié à Oslo et deux intifadas sont passés par là: pour faire du bruit, le Hamas n’hésite pas à envoyer des jeunes se faire dézinguer sous les caméras du monde entier.
Ce faisant, cela ne dérange nullement Tsahal, qui considère que tant qu’on ne franchit pas la frontière, tout va bien.
Résultat, dans ce système complexe à deux variables, le seul schéma qui satisfait tout le monde – je veux les deux parties prenantes, bien sûr, pas les observateurs extérieurs – c’est la case en haut à droite.
Tant que le seul moyen de faire du bruit adopté par le camp palestinien restera la comptabilité des victimes – approche qui, je le répète, reste intolérable – nous ne sortirons pas de ce statu quo. Pour en sortir, il faut un schéma qui maximise les intérêts des deux parties, par exemple de faire du bruit en obtenant une reconnaissance internationale, un prix Nobel, ou un quelconque hochet dont ses leaders puisse se glorifier.
Dans leur film Décryptage, Philippe Bensoussan et Jacques Tarnéro présentaient le conflit israélo palestinien non pas comme un drame, mais comme une tragédie. Dans un drame, un seul des protagonistes est dans son droit; dans une tragédie, les deux ont raison. Nous nageons en pleine tragédie depuis plus de cinquante ans. Il faut aider les deux parties à en sortir, et pour cela, cesser les points de vue partisans des deux côtés. Le chemin est encore long à parcourir.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec