après l’Uniformologie, la Musicologie
par Serge Delwasse, X1986 et Gaël Favraud, X2004
L’élégance militaire étant à l’élégance ce que la musique militaire est à la musique, il était naturel que cette rubrique « tradis » abordât les chants milis. Hélas, Delwasse, grand uniformologue devant l’éternel, est malheureusement totalement incompétent en musicologie. Afin de rédiger ce billet, il a fait appel à Favraud, missaire également, oranje également, et surtout qui a eu l’occasion de s’intéresser à l’histoire des chants de l’X.
Les X ne chantent pas ! Anormal. Ce sont même les seuls militaires à ne pas chanter ! C’est ce qu’a dû se dire Patrice Holiner, professeur de piano sur le platal. De ce constat il a conçu, orchestré et dirigée une sublime Marseillaise à plusieurs voix et a capella, qui fait le bonheur des participants aux cérémonies militaires du plâtal (PAD/PDD).
Le hic, c’est que la Marseillaise, ça n’est pas le truc le plus drôle du monde… Et pourtant, avant 68, les X chantaient :
Le XIXème siècle, la préhistoire
De la Chanson du Berzé, à la Légende de Chambergeot – vous vous souvenez, celui qui est mort « dans l’intervalle » – en passant par la Ballade du disque, la littérature nous a laissé quelques traces de ces chants. Probablement écrits par un ou plusieurs élèves, chantés sur un air existant, nous ne pouvons les dater qu’approximativement. Nous reproduisons quelques textes en annexe. Il est difficile d’en savoir plus. La Ballade des ‘Cipaux a néanmoins été chantée jusqu’à la fin des années 1960. Elle était chantée pour mettre en garde les gardes municipaux (les cipaux), chargés de surveiller les épreuves du concours d’entrée, contre les tentatives de triche des taupins. Selon Defourneaux (X57) dans Plainte Contre X, la tradition voulait que lorsque le président de séance annonçait “La séance est ouverte”, les jeunes candidats répondissent en choeur “fermez-la”, avant d’entamer ce chant. Il a semble-t-il été chanté jusqu’à la fin des années 60. :
Les bazoffs carva
C’était probablement le premier vrai hymne de l’Ecole, un chant un peu taquin « c’est nous les bazoffs carva, les champions de la discipline… » De quand date-t-il ? De l’entre deux guerres, le terme Carva étant daté du début du siècle.
L’artilleur de Metz
Fascinant chant, bien militaire, dont la musique est encore utilisée pendant les défilés, dont la version « galette » est le chant tradi de St Cyr, et dont les paroles expurgées lui pemettent de figurer au milieu d’un album de chants militaire enregistrés par cette même ESM. Si vous voulez tout savoir du cul de l’artilleur de Metz, de son histoire, de la Galette, et surtout avoir quelques idées sur la question cruciale : Bellini a-t-il emprunté, ou, au contraire, a-t-il composé ? quelques liens sont donnés en annexe. Personnellement, nous sommes assez persuadés que l’artilleur existait avant Bellini… Afin de ne pas choquer les jeunes camarades qui pourraient nous lire, nous ne reproduirons les paroles par écrit. Nous prions néanmoins de noter que cette chanson, traditionnelle de « l’artoche », glissant à l’x, a glissé à son tour vers la prépa, au moins dans les années 60. Phénomène « classique », les plus jeunes piquant naturellement à leur aînés pour « faire pareil ». A cette occasion, le « vivent les artilleurs » était devenu « vivent la taupe et les taupins »
Des versions intégrales, et intégralement obscènes, de l’Artilleur de metz sont bien évidemment disponible sur Internet.
Le p’tit nange
Le chant du P’tit n’ange est aussi une chanson traditionnelle de l’X. Certaines promotions chantaient ce chant lorsque le service se faisait attendre trop longtemps au magnan ou pour réclamer du gigon. La plupart des livres sur l’histoire de l’X font le plus souvent référence à elle et à La Bête du Gévaudan. Il existait d’ailleurs une khôte P’tit n’ange, attibuée au plus jeune de la promo, qui descendait, des cintres de l’amphi, affublé de ses ailes, au bout d’un câble.
Les paroles peuvent être trouvées ici : http://1964.polytechnique.org/nostalgie/angejv.htm mais nous vous les donnons parce qu’elles sont sympa. Vous noterez que la brave p’tit nange a une carrière brillante, de Louis-le-Grand (le Bazar Grand) à la Botte…
PAUV’ PETIT N’ANGE 1 On l’avait trouvé un dimanche, Sur l’impériale du métro Rien n’était marqué sur ses langes, Personne connaissait l’marmot La contrôleuse des premières, L’aurait bien couché sur son sein Mais comme elle était poitrinaire, Pauv’ gosse s’rait bientôt mort de faim… Pauvre petit n’ange ! Pour vivre il dut voler Des petites boîtes de lait condensé Faut bien qu’on mange ! (bis) 2 Âgé d’sept ans cinq mois à peine Il perdit sa second’ maman Seul au mond’ Voilà bien sa veine Il échoua au Bazar Grand Chiada à tort et à travers Le jodot, les maths et l’all’mand Qu’voulez-vous qu’un enfant puiss’ faire Sans les conseils de ses parents ? Pauvre petit n’ange ! Il fut r’çu bachelier Vaudrait bien mieux êtr’ terrassier Mais faut bien qu’on mange ! (bis) 3 Taupin pour comble de disgrâce, Dans un’ nuit d’ivresse et d’amour Comme il faut que jeuness’ se passe II tua une dame du d’Harcourt. Cette bonn’ dame, c’était sa mère ! C’est pas d’la veine assurément ! Qu’voulez qu’un enfant puiss’ faire Sans les conseils de ses parents ? Pauvre petit n’ange ! Sur elle, il a trouvé 2 francs 60 de p’tite monnaie ! Mais faut bien qu’on mange ! (bis) 4 Chez Carva traînant sa détresse, Gavé d’poulet, de vol-au-vent, D’un foie gras, lancé plein d’adresse, Il tua du coup le Magnan ! Ce bon Magnan, c’était son père. Voyez sa guign’ ! C’est désolant Qu’voulez-vous qu’un enfant puiss’ faire Sans les conseils de ses parents ? Pauvre petit n’ange ! Le voilà orphelin II tournera mal, ça c’est certain II faut bien qu’on mange ! (bis) 5 Et sa fin fut plein’ de misère ; Entendant des typ’s s’écrier : « Faut avoir tué pèr’ et mère Pour avoir envie d’êt’ bottier ! » Il s’dit : « Voilà bien mon affaire ! » Se mit au travail sur le champ. Qu’voulez-vous qu’un enfant puiss’ faire Sans les conseils de ses parents ? Pauvre petit n’ange ! Il finit grand bottier ! Sur terr’ il n’y a pas d’sot métier II faut bien qu’on mange ! (bis)
La bête du Gévaudan
Elle a tant tant tant mangé de mon-onde, la bête, te, te du Gévaudan, dan dan,
qu’elle en est devenue toute ron-onde , la bête, te, te du Gévaudan, dan dan.
La Bête du Gévaudan était chantée par certaines promotions au début de chaque amphi quand le prof était en retard (cela permet de profiter du jeu de mots Elle attend – la promo – elle attend, elle a tant mangé…). Les élèves chantaient 3 fois la Bête, de plus en plus vite, d’abord assis, puis debout. La troisième répétition du chant se faisait debout sur les bureaux en tapant des pieds… si elle n’était pas interrompue par un ferme «Garde à vous !». Il se disait que certains professeurs, à l’instar de Tuffrau, ancien normalien qui a été un professeur d’histoire à l’X après avoir enseigné en khâgne à Louis-Le-Grand, auraient été très vexés de ne pas être accueillis par la « Bête ». Le même Tuffrau, particulièrement apprécié de ses élèves, avait droit à un chant jovial qui lui était spécialement destiné « Pousserais-tu, ô poil de son crâne, pousserais-tu si l’on t’arrosait, Tuffrau, Tuffrau, Tuffrau » sur l’air de taiau, taiau….
Plus tard, on se contenta de frotter le sol avec ses chaussures de plus en plus fort au fur et à mesure que le retard s’accentuait.
La Bête sera reprise à Louis-Le-Grand pour servir à un rituel un peu dérangeant pour celui qui en fait les frais, le « culage ». Lorsqu’un groupe voulait châtier quelqu’un les taupins le prenaient à plusieurs et l’allongeaient sur une table, comme couché. Puis ils le prenaient par les bras et les jambes et le soulevaient à 10 cm de la table. Alors commençait la chanson, au rythme de laquelle la victime était balancée vers un bout de la table et vers l’autre alternativement. A chaque oscillation un grand soin était apporté à la trajectoire qu’empruntaient ses fesses, de façon à ce que celles-ci cognent la table. Le pauvre devait subir cela jusqu’à la fin de la chanson. Cependant il semble que le culage soit resté cantonné au lycée Louis-Le-Grand. Aujourd’hui la Bête s’est échappée de Carva, et a été adoptée par la troupe de scouts du groupe Saint-Louis. On la trouve sur Youtube…
Aujourd’hui, quelques chansons paillardes comme le grand vicaire ou les couilles de mon grand père – version moderne de la peau de couille – vivent au Bataclan, entretenues par des organismes aussi fins et distingués que la Khômiss ou la section Rugby. Le conscrit Nègre (X12), kessier – nul n’est parfait – a quand à lui écrit une ode à Vaneau (X29, missaire) beaucoup plus politiquement correcte.
Est-il possible de refaire vivre les bazoffs carvas, l’artilleur de Metz, le p’tit nange et la Bête ? Les auteurs du présent billet expriment une nette préférence pour le p’tit nange. Son caractère consensuel et peu connoté sexuellement, probablement. L’an dernier, il était question d’un hymne pour l’Ecole. Il est tout trouvé !
La discussion continue , si tu le souhaites (carvas only, désolé) sur la liste debats[at]debats.polytechnique.org.
Une curiosité : la Marche des Polytechniciens
Composée par François Constantz, plus célèbre pour ses pianos que pour sa musique, cette marche n’a probablement jamais été chantée par quelque Carva que ce soit. On en trouve, de temps en temps, la partition sur eBay
Remerciements
- tous les missaires antiques qui ont contribué, par leurs souvenirs, à ce billet
- Le regretté Jean-Pierre Callot (31), kessier – nul n’est parfait, ancien rédac’chef de la JR – nul n’est parfait, mais néanmoins grande figure de l’histoire de l’X
- MM. Christian Acosta et François Dufranc, de l’X
- Patrice Holiner, pour la joie qu’il nous procure à chaque prise d’armes
- Monsieur le Général de Corps d’Armée Ribayrol, gouverneur militaire de Metz
Bibliographie et liens
- La Bête du Gévaudan sur Wikipedia
- Sites sur l’artilleur de Metz
- Le disque d’or de l’X, version originale, sur eBay
- Quand défile l’Ecole Polytechnique, le disque d’or version moderne
- Chants Militaires Traditionnels, par la promo X13 (Direction Musicale Me Patrice Holiner), disponible à l’X
Jacquette et disque
- La Tradition et les Traditions de l’X, numéro 331 de la JR, juin 1978 nousne pouvons que saluer l’initiative de Jean-Pierre Henry (X64), webmestre de la Jaune & la Rouge, qui a eu la bonne idée de mettre ce numéro spécial en ligne
Paroles de quelques chants historiques
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A heavy weather skipper
Oserai-je dire que cet article "détonne" ce qui laisserait penser que je trouve que les précédents "déconnent" ?
Que Nenni ! Moi, l'ancêtre né avant le multimédia, de sexe masculin (c'est à dire qu'on prétend être incapable de faire plusieurs choses à la fois) ne peut que me réjouir de pouvoir lire et écouter en même temps et de revivre en quelques minutes ces "Souvenirs Inoubliables" (à propos, il faut vite réserver le livre, car j'ai cru comprendre que le tirage ne permettrait pas de servir les 18000 X et Xettes vivants sans compter leurs proches qui se délecteront de ce pavé) de mes 20 ans.
Oserai-je dire que cet article "détonne" ce qui laisserait penser que je trouve que les précédents "déconnent" ?
Que Nenni ! Moi, l'ancêtre né avant le multimédia, de sexe masculin (c'est à dire qu'on prétend être incapable de faire plusieurs choses à la fois) ne peut que me réjouir de pouvoir lire et écouter en même temps et de revivre en quelques minutes ces "Souvenirs Inoubliables" (à propos, il faut vite réserver le livre, car j'ai cru comprendre que le tirage ne permettrait pas de servir les 18000 X et Xettes vivants sans compter leurs proches qui se délecteront de ce pavé) de mes 20 ans.
Qu’on nous redonne l’Artilleur !
L’air et les paroles du chant se prêtent aisément à tous les détournements qu’on pourrait imaginer, propres à chaque section ou à chaque binet. Malheureusement, comme je commence à passer du côté des croulants (comprendre que mon dernier passage à Palaiseau date de plus d’un mois), je n’ai pas l’espoir de voir un jour renaître l’Artilleur…
Mon cher Matthias,
A la réflexion, je commence à penser que tu as raison. L’Artilleur serait probablement plus « facile » à réintroduire sur le platal. Qu’en pense le musicologue Gaël ?
Je reçois de mot de notre camarade Aviron-Violet (56), qui m’a autorisé à le reproduire ici :
Chers camarades, conscrits ou plutôt petits-conscrits (ce néologisme est-il acceptable ?)
Merci beaucoup pour l’article « Après l’uniformologie, la musicologie ».
Il a été effectivement une madeleine pour moi et certainement pour tous les camarades des promotions voisines de la 56 qui est la dernière à avoir eu Tuffrau comme professeur.
Avant quelques uns de ses cours nous avons certainement chanté, la bête du Gévaudan, « Elle a tant, tant mangé de monde, la bête, te, du Gévaudan, dan, qu’elle est devenue toute ronde » et pour chaque cours sa chanson personnelle, « Pousserais-tu ô poil de son crane, pousserais-tu, si on t’arrosait, Tuffro..o, Tuffro… » Il était un ancien combattant de la guerre de 14. Il a fait, je crois, toute la guerre et l’a finie comme commandant d’une unité de mitrailleuses arme moderne qui a fait d’innombrables morts parmi les fantassins qui partaient à l’assaut des tranchées adverses (ses souvenirs ont été publiés je ne sais par quelle université).
Un autre professeur, Gaston Julia, avait fait aussi cette guerre ; c’était une des victimes les plus marquées de cette guerre, les gueules cassées, dont le nom dans mon enfance était connu de tous parce que leur association éditait des billets de la loterie nationale. C’était notre professeur de géométrie avec un masque et sa voix déformée.
Nous avions aussi comme professeur de mathématiques, Favard, dont l’accent rocailleux et les saillies mobilisaient plus que la topologie qu’il enseignait. Il avait fait la guerre de 40 et avait été prisonnier dans un Oflag où il donnait des cours à ses compagnons. Un souvenir le concerne, lors de la campagne de kès le tandem ITJ avait invité Victoire, la plus célèbre mannequin de l’époque à venir présenter en début de son cours un projet d’uniforme de polytechnicienne !
Toujours sur ce thème des X et des guerres, nous avons été parmi les dernières promotions à participer à une guerre, la guerre d’Algérie, d’octobre 1958 à septembre 1959 dans le cadre de l’engagement triennal à l’X et d’un rappel d’un an soit immédiatement d’octobre 1959 à septembre 1960 pour les démissionnaires, soit d’octobre 1961 au 5 juillet 1962 (pour cause d’Indépendance) pour ceux qui avaient fait une école d’application.
Trois cocons sont morts pour la France: Yves Marion (13-07-59), Jean Morin (01-04- 60), Michel Turbil (29-07-59) et un conscrit de la 57, Jacques Mitterreiter (3-06-60)
Une dernière remarque, il n’est question que des traditions des taupes des grands baz parisiens mais les traditions existaient dans tous les baz de province et c’est au Parc à Lyon que j’ai appris l’artilleur de Metz : « …Chic à la taupe et aux taupins ! » et aussi le plaisir des dieux : « Du dieu Vulcain, quand l’épouse friponne, allait boxonner loin de son vieux sournois… »
Ce sont là de nombreux thèmes pour votre lettre que je recevrai toujours avec plaisir.
Cordialement à tous.
Jacques Aviron-Violet X56
J’ai ete surpris de decouvrir que la bete du Gevaudan avait ete utilisee a Louis Le Grand pour rythmer le Khulage. Mon souvenir personnel d’HypoTaupe a LLG, est d’avoir pratique le Khulage sur la chanson des petits oiseaux, identique a tres peu pres a celle des Cipo.
Bonjour Messieurs,
Pouuriez-vous me dire où je puis trouver les paroles de l’ode à Vaneau ?
Je vous en remercie
Bien cordialement
Jean-Pierre Barbe
+ 33 6 27 80 99 23
jean-pierre.barbe@total.com
http://wikix.polytechnique.org/Ode_%C3%A0_Vaneau