Après les printemps arabes, l’hiver gaulois?
Je ne sais pas à quoi aurait ressemblé Mai 68 sur WhatsApp et Facebook. Mais si les smartphones et les réseaux sociaux avaient existé à cette époque, je pense que le résultat n’aurait pas été très différent de ce que nous avons tous pu constater sur nos ordinateurs et nos téléphones durant ces dernières heures. Partout, sur une ligne allant de Trocadero aux Grands magasins, un déferlement de violence, semblable aux émeutes que nos postes de télévision ont pus souvent l’occasion de diffuser lors de mouvements de révoltes à l’étranger. Et l’impression que les fractures entre français ne cessent de s’élargir, sans trop savoir où tout cela peut nous mener.
#Paris nouvelle manifestation des #Giletsjaunes scènes insurrectionnelles d'une violence incroyable #ChampsElysees #01decembre2018 #01decembre pic.twitter.com/bUKF0JKUS2
— LINE PRESS (@LinePress) 1 décembre 2018
Dans de telle occasions, il ne faut pas se contenter d’un seul point de vue: il faut lire aussi bien ce que disent les gens qui pensent comme vous, que ceux qui pensent comme ceux qui vous rebutent ou vous effraient. Comprendre les aspirations et les schemas de pensée du camp d’en face – si tant est qu’il soit monolithique – c’est très intéressant. Cela en dit long sur la nature humaine, sur les modes de pensée, sur ce qui vous unit ou vous sépare. Et c’est un premier pas vers la réconciliation, ou la recherche d’un terrain d’entente.
Les journaux télévisés et les reportages diffusés durant ces dernières vingt-quatre donnent un échantillon de ce que pensent les français en général. C’est donc par là que nous pouvons tous commencer, et c’est ce que j’ai fait presque toute la journée d’hier. Des images parfois hallucinantes. Il était étonnant, par exemple, de voir cet étrange et respectable monsieur d’un certain âge, visiblement habitant des beaux quartiers, déplorer les dégâts tout en donnant raison aux gilets jaunes: oui, disait-il, la pression fiscale devient intolérable … aussi bien pour les bas revenus que pour les individus les plus aisés. Comme quoi, au-delà des destructions, le ressentiment contre le président de la république touche toutes les couches de la société.
Autre cas intéressant dans ce vaste échantillon, ce fonctionnaire qui constate qu’à indice égale avec celui de son père, son pouvoir d’achat avait sombré en une vingtaine d’années: lui n’avait pu s’offrir de résidence secondaire! Encore aurait-il fallu juger si le-dit paternel n’avait pas hérité de ses parents (ce que l’allongement de la durée de vie rend de plus rare, mais qui s’en plaindra?), ou touché un tiercé dans l’ordre…
Ce qui ressort de ces violences inadmissibles, qui succèdent à des manifestations d’une ampleur incroyable, à en juger par les vidéos qui tournent sur certaines pages, c’est que les « gilets jaunes » veulent payer moins d’impôts, moins de taxes, tout en bénéficiant d’une couverture sociale renforcée (plus de retraites, aides aux jeunes, etc.) C’est là tout le paradoxe français: on veut bénéficier du beurre et de l’argent du beurre. Mais malheureusement, cela risque d’être difficile à réaliser.
L’hiver gaulois nous menace-t-il? On se dit que ce n’est pas tant le président Macron qui a du souci à se faire, que toute la classe politique. L’effondrement des partis traditionnels – PS, LR – au printemps 2017, au bénéfice des partis extrêmes, semble se poursuivre. Le retour annoncé de François Hollande ou de Ségolène Royal, il y a quelques jours, sur le devant de la politique, n’a rien d’une bonne nouvelle, au contraire. Les prochaines élections verront probablement un ras de marée rouge-brun, et la défaite, cette fois, des candidats En Marche!.
Mai 68 s’était achevé dans une immense démonstration de soutien au Général et aux institutions de la 5ème République. Emmanuel Macron bénéficiera-t-il d’un tel soutien, ou sommes-nous appelés à subir l’hiver gaulois pendant quelques semaines encore?…
Sur le même sujet, lire:
- Le point de vue de Christophe Faurie, toujours aussi incisif
- Le point de vue d’Axel Kahn qui, lui, a connu 68
- Le point de vue d’Olivier Erztscheid
- L’interview en podcast de Fabrice Epelboin par Grégory Pouy qui vous en apprendra beaucoup sur la culture digitale des gilets jaunes
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Il y a semble-t-il de votre part une mauvaise compréhension de ce qui se passe. Vous dites « les Français veulent le beurre et l’argent du beurre », mais le problème vient précisément du fait qu’une partie de la population est privée du beurre : les impôts servent à payer le service public, or celui-ci se délite complètement. Dans certaines zones rurales et dans les DOM-TOM en particulier les hôpitaux ferment ou perdent du personnel (avec des conséquences catastrophiques sur le plan humain), les écoles, les lignes ferroviaires, les bureaux de poste etc… ferment également.
Personne ne dit ne plus vouloir payer d’impôt, mais celui-ci pèse aujourd’hui le plus sur les classes moyennes ou défavorisées, c’est-à-dire sur ceux qui ne bénéficient plus (ou de moins en moins) de ce à quoi les impôts sont destinés.
En outre dès le départ le gouvernement a multiplié les affirmations erronées, par exemple en qualifiant de taxe écologique une taxe dont 80% du montant n’est pas destiné à la transition énergétique.
Bien à vous.
Je suis assez en accord avec le commentaire précédent.
J’y ajoute un lien vers un article du Monde d’avant les évènements ; il est assez éclairant :
https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/10/12/les-ultrariches-grands-gagnants-de-la-fiscalite-macron_5368373_823448.html
Rajout :
Bien regarder la dernière colonne du graphe (les 1%) !
Instructif. Merci pour ce lien.
Comparer Macron à de Gaulle dans le dernier paragraphe n’est pas sérieux…Macron n’arrive pas à la cheville de l’homme du 18 juin, et son attachement aux valeurs républicaines (dont la laïcité) est plus que discutable. Outre l’arrogance inouïe et les innombrables dérapages ( » les gaulois réfractaires », « vous n’avez qu’à traverser la rue pour trouver du travail »…) du locataire de l’Elysée, il y a eu depuis 3 semaines de la part du gouvernement (Castaner…) une volonté extrêmement démagogique de manipuler l’opinion en agitant l’épouvantail de l’extrême droite. Le fait qu’il y ait une poignée d’activistes d’extrême droite soralienne parmi les manifestants ne représente évidemment pas ce mouvement soutenu par près de 80% des Français (90% des sympathisants du PS) et une telle manipulation, relayée par certaines personnalités médiatiques, a contribué à la radicalisation du mouvement à laquelle on assiste.
Ni casseurs ni FI ni FN ni Macron.
Le rapport de l’OCDE vient de tomber. Constat implacable : la France est la championne du monde des impôts. Pire : ce sont les impôts indirects qui occupent la place la plus importante. Autrement dit , les impôts qui touchent de plein fouet les pauvres et les classes moyennes.
Certes ! Mais nous sommes au moins dans le peloton de tête pour ce qui concerne les services sociaux en dépit de leur dégradation !
Le fait est qu’en ce qui concerne la qualité du service public, nous sommes très loin d’être dans le peloton de tête : fermetures d’écoles, de lignes ferroviaires, d’hôpitaux, système éducatif extrêmement mal noté à l’échelle internationale (et à juste titre ), système psychiatrique caractérisé par les internements abusifs et les maltraitances, maltraitances dans les maisons de retraite faute de personnel etc…La liste complète serait trop longue. Notre service public a été totalement laminé en 30 ou 40 ans.
J’ai écrit « en dépit de leur dégradation » !
La comparaison avec les USA est édifiante !
@Patrice Urvoy
Les USA sont effectivement un contre-modèle, mais c’est précisément le modèle de société dont s’inspire LREM _ et pas seulement quant aux services publics et l’économie.
En ce qui concerne notre système psychiatrique (et peut-être même nos maisons de retraite) nous ne sommes pas en meilleure position que les USA. Je pourrais vous faire part de nombreux témoignages qui font froid dans le dos.