Annexions législatives
C’est fait, ou presque. Binyamin Netanyahu, au terme d’une campagne agitée, réussit un tour de force, en arrivant favori au lendemain des élections alors que sur le papier, sa liste obtient un nombre de députés égal à celui de son principal adversaire, l’ancien chef d’état-major de Tsahal, Benny Gantz. Une bonne partie de mes coreligionnaires se félicitent de cette victoire probable. Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle?
D’un point de vue démocratique, les choses ne sont pas si simples. Avoir le même dirigeant pendant dix ou quinze ans, cela peut être utile, comme l’a démontré Mme Merkel en Allemagne. Ce que nous reprochons souvent aux systèmes politiques occidentaux, comme celui dans lequel nous évoluons en France, c’est l’impossibilité d’inscrire des politiques de réformes dans la durée. En France, par exemple, à force de changer de majorité tous les cinq ans, on aboutit à une situation où plus aucune réforme lourde ne peut passer (on reparlera de la loi Pacte plus tard, si vous voulez bien). Avoir le même dirigeant pendant dix ans, cela permet de poursuivre une politique stable et homogène. Encore faut-il que la vision politique de Mr Netanyahu soit claire. Si celle-ci se réduit à un « pas de discussion avec les voisins palestiniens », il est probable que cet atout se transforme en inconvénient majeur.
Ce qui me gêne plus, c’est ce discours unanime sur l’infaillibilité de Bibi, le fait que nul ne peut raisonnablement le remplacer. Les cimetières, c’est bien connu, sont remplis de personnes irremplaçables… À force de répéter à tort et à travers que c’est Bibi et nul autre qu’il nous faut, ses fans passent à côté d’occasions de réelles évolutions. Je ne dis pas que Gantz est nécessairement le bon dirigeant pour Israel. Mais il est certain qu’un jour ou l’autre, Bibi devra passer la main. Et celui qui sera assez opportuniste pour le remplacer ce jour là ne sera peut-être pas le meilleur des candidats qu’on lui aura opposé pendant ses différents mandats.
Et ce remplacement n’est peut-être pas si éloigné que cela. Binyamin Netanyahu traîne encore quelques casseroles – quelques dossiers, dirons-nous – dont le classement n’est pas encore certain. Que se passera-t-il dans le cas où les preuves accablantes conduiront à un affaiblissement de sa légitimité politique? Par comparaison avec les affaires que traîne Donald Trump, ou avec celles qui ont empesté le RPR durant des années, celles qui entachent la carrière de Bibi ne sont pas des moindres.
Et à y regarder de plus près, on se dit aussi que finalement, Gantz et Bibi ne sont pas si éloignés que cela. Tous deux émargent à droite de l’échiquier en terme de politique étrangère. Gantz n’est pas un faucon, mais nul doute qu’il partage les mêmes opinions que son adversaire vis a vis de l’Iran ou du Hezbollah. Pourquoi Bibi peut-il envisager une victoire alors qu’il parvient exactement au même nombre de députés que son adversaire? Parce que Netanyahu, il ne s’en cache pas, est prêt à faire alliance avec des partis religieux avec lesquels Gantz n’est probablement pas prêt à frayer (quoique, on ne sait jamais, attendons la suite).
On notera également la dislocation de la gauche israélienne: Meretz et du parti travailliste n’obtiennent, à eux deux, même pas 10% des sièges: l’électeur israélien vote à droite, c’est clair et définitif. On aura une pensé émue pour Naftali Benett et son acolyte, Ayelet Shaked: la vie politique peut parfois être cruelle.
Enfin, le pari tenté par Moshe Kahlon, celui d’incarner un ni-droite ni-gauche à la française, a fait long feu, avec 4 mandats sur 120 en jeu: ce n’est pas facile de faire ce qu’a réussi Emmanuel Macron chez nous en 2017.
Finalement, avec 11 partis ou tendances représentées dans la prochaine Knesset, le paysage politique israélien ne s’en sort pas si mal. Les deux plus gros parts représentent 60% des voix, et si les deux leaders parvenaient à s’entendre, cela pourrait avoir de la gueule. Mais ce ne sera probablement pas le cas. Et on se dit qu’un deuxième tour à la française, avec un scrutin majoritaire, ce n’est pas si mal…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec