Ambassadeur en Israel, 1986-1991
Ambassadeur en Israel, ce n’est pas un poste de tout repros. Surtout quand il s’agit d’un poste d’ambassadeur de France. Car les relations entre les deux pays ont toujours été passionnées, si ce n’est passionnantes. Et la période durant laquelle Alain Pierret occupa ce poste, de 1986 à 1991, a certainement été l’une des plus difficiles, entre la cohabitation qui se déroula de 1986 à 1988, le déclenchement de la première Intifada, et la guerre du Golfe.
Un livre en deux temps
Publié en 1999, bien après qu’Alain Pierret eut quitté son poste, Ambassadeur en Israel est composé de deux parties. La première est consacrée aux quatre première années, de sa prise de poste à l’été 1986, alors que la France vient de rentrer en cohabitation, jusqu’à l’été 1990 et l’invasion du Koweit par l’armée irakienne.
La seconde partie est, quant à elle, consacrée à la guerre du Golfe, comment l’on pouvait en déceler les premiers signes annonciateurs, quel impact elle eut sur les relations entre la France et Israel, et quelles en furent les répercussions ultérieures, notamment sur le rôle que put tenir la France dans ce qui aboutira aux accords d’Oslo.
Ambassadeur en Israel, un poste difficile
Dans ce livre, vous ne trouverez ni révélation fracassante, ni secret d’état : l’auteur a une bien trop haute estime de son poste pour se livrer à ce type de comportement. Alain Pierret tient plutôt une sorte de journal de son action en tant qu’ambassadeur : on a réellement l’impression, au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture de ce livre, qu’il puise dans ses notes personnelles, croisant ses éléments d’appréciation avec les articles de presse parus à la même époque ainsi que les prises de parole des différents protagonistes. C’est plaisant, richement documenté, et jamais à sens unique, l’auteur laissant le lecteur se faire sa propre idée des événements.
C’est tout l’art du diplomate qui transparaît dans ces pages : sincère ami d’Israel, Alain Pierret ne se désintéresse jamais du problème palestinien, et rappelle régulièrement à ses différents interlocuteurs la nécessité de traiter ce sujet. Mais tout en se souciant du problème palestinien, Alain Pierret n’est pas aveugle, et saisit, peut-être plus que nombre de diplomates et d’hommes politiques français, le rôle néfaste de l’OLP et le double jeu de son leader Yasser Arafat, qui n’hésitera pas à supporter le leader Irakien, au prétexte de jouer l’intermédiaire pour « libérer » les ressortissants français bloqués en Irak à l’automne 1990.
Alain Pierret expose de manière claire l’obstination de François Mitterrand et de Roland Dumas à vouloir placer le leader de l’OLP au centre des débats. Il rappelle l’invitation d’Arafat en 1989 à l’Élysée, le jour même de Yom HaShoah, ou comment le ministre des affaires étrangères français rencontra le dirigeant palestinien à plusieurs occasions, de manière à établir le lien entre le règlement de l’invasion de l’Irak et celui des territoires occupés, contribuant à décrédibiliser pour longtemps la France dans la région.
La lâcheté du Quai d’Orsay
C’est toute l’ambiguïté des rapports entre la France et Israel qui ressort de cette lecture. Pays amis, aux nombreux liens culturels et économiques, les deux pays n’ont de cesse de laisser les relations se détériorer, comme un couple d’amants transis, au grand dam de l’ambassadeur. Il faut dire que tout est fait, au Quai d’Orsay, pour que cela se passe mal, et ce n’est pas le moindre des mérites de ce livre d’en rappeler les raisons. La politique pro-arabe du Quai suinte quasiment à chaque page du livre, et l’on se demande, au final, qui tire réellement les manettes, puisque l’ambassadeur, loin d’être autonome, ne sert que de canal de communication entre les deux états.
Le lecteur qui connaît peu les relations internationales entre les deux pays découvrira donc avec intérêt que l’ambassade de France, comme de nombreuses autres ambassades il est vrai, sauf celle des Etats-Unis transférée avec fracas durant l’ère Trump, se trouve à Tel-Aviv, et non à Jerusalem, pourtant capitale de l’état hébreu. Dans la ville sainte, la France ne dispose que d’un consul général, qui ne dépend pas de l’ambassade, contrairement aux autres consulats comme par exemple à Haïfa. Le consul et l’ambassadeur doivent tout le temps s’éviter, leurs attributions suivant une règle protocolaire stricte.
De la sorte, l’ambassadeur de France en Israel doit effectuer, parfois plusieurs fois par jour, le trajet entre Tel-Aviv et Jerusalem, pour rencontrer ses interlocuteurs au sein du gouvernement israélien. C’est probablement celui des ambassadeurs de France, qui effectue le plus de kilomètres en voiture durant sa mandature.
Plus regrettable encore est le mépris avec lequel le Quai d’Orsay traite son ambassadeur. Plus tranchant que Gérard Araud, Alain Pierret ne mâche pas ses mots sur le dédain dont il eut à souffrir durant ces cinq années. Il revient à plusieurs reprises sur le manque de crédits dont il dispose, pour des tâches parfois vitales, touchant à la sécurité du personnel de l’ambassade, ou à son activité au quotidien. On apprend ainsi que l’ambassadeur et ses rares collaborateurs restés auprès de lui durant la guerre du Golfe ne reçurent que des masques à gaz d’un modèle dépassé, alors que la France fit parvenir plusieurs milliers de masques à gaz plus modernes à l’intention des populations de Jerusalem-Est. Ou que l’ambassadeur se vit refuser le crédit lui permettant de se doter d’une antenne parabolique ,lui permettant de capter TV5 ou CNN, dont on se souvient de l’importance durant les événements de l’hivers 1990-1991.
Le livre d’Alain Pierret retrace une époque révolue, celle d’avant les accords d’Oslo. On y retrouve des personnages qui ont disparu de la scène politique, de part et d’autre de la Méditerranée : Mitterrand, Chirac, Roland Dumas ou Michel Noir y côtoient Yitshak Shamir, Shimon Peres, Yitzhak Rabin ou Binyamin Netanyahou, qui n’est alors que l’adjoint de David Levy, mais va peu à peu lui voler la vedette.
Bref, sans être un best-seller, Ambassadeur en Israël, 1986-1991 se révèle un livre passionnant à plus d’un titre, surtout pour le lecteur qui aura vécu ces années là et se souvient de cette triste période.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec