Le rapport Villani: AI for Humanity (and for animals, aliens, E.T. and gods)
Amateur de challenges de lecture rapide, je me suis intéressé au rapport Villani, rapport que le mathématicien français à la célébrité galopante a remis au président de la république, et humblement sous-titré: « Donner un sens à l’Intelligence Artificielle ». Bigre, d’un seul coup on se dit que les dizaines de chercheurs qui s’y étaient consacrés depuis des années avaient erré sans but: il était temps de donner du sens. Mais a priori, ce n’est pas avec ce rapport qu’on y arrivera.
Première chose qui frappe avec ce rapport: la qualité de la forme. Tout a été soigné, avec un sens du détail qu’on ne croyait pas (à tort) nos plus hautes administrations capables de délivrer. Site web dernier cri (tellement dernier cri que sur mon iPad V1, il était inutilisable), décline en français et en anglais (au cas où l’anti-France voudrait s’inspirer de nos idées), le tout codé par un détraqué qui a tenu à ce que le code source de chaque page tienne sur 20 lignes… ! Si, si, je vous assure, faites le test, regardez ici !
Deuxième chose qui frappe, son épaisseur. L’équipe constituée autour de Cedric Villani, n’a pas chômé, a interviewé des dizaines de personnes, et à dû se dire que le travail de synthèse, ce sera pour une autre fois. Il faut dire que ça s’appelle AI for Humanity: on vise haut. Du coup, on a droit à un pavé de 233 pages. En cas d’insomnie, ouvrez une page au hasard et vous serez servis. Quand je pense au rapport Gallois et à ses 74 pages, on se dit que c’est beau, c’est grand, d’avoir tant de chose à dire sur l’IA. Mais cela fait toujours moins que les 245 pages du rapport Attali…
Troisième chose qui frappe, c’est que ce rapport ne s’adresse pas aux techniciens uniquement, ni aux technophiles, encore moins aux technocrates (sans parler des technolâtres), mais à un public large et varié, capable de goûter le charme de formules comme celle-ci, sur la 2ème colonne de la page 18:
Il est donc nécessaire de constituer un espace ou les capacités prospec- tives, de prévisions macro-écono- miques et d’analyse des mutations des usages puissent être mises en lien avec des capacités d’expéri- mentation concrètes et articulées avec des actions à destination de certaines catégories de travailleurs. Une structure pérenne pourrait donc être installée, qui aurait un rôle de « tête chercheuse » à l’intérieur des politiques publiques de l’emploi et de la formation professionnelle. Elle aura un double rôle : anticiper et expérimenter.
Enchanteur, n’est ce pas?
J’arrête là les critiques stériles. Car il y a du bon, dans ce rapport AI for Humanity. D’abord, le fait de s’intéresser à la recherche, et plus particulièrement à la recherche sur un domaine devenu rapidement un buzz word ces derniers temps, au point que certains mêmes de ses spécialistes se demandent si on n’en fait pas trop.
Ensuite, il faut reconnaître que le rapport aborde le sujet sous une multitude d’angles: technologiques, financiers, stratégiques, sociaux, etc. C’est ce qui fait son charme (tout le monde peut y trouver matière à se délecter) et son principal défaut (qu’est ce qu’on se fait chier quand on tombe sur les sections auxquelles nous sommes moins sensibles). Du coup, la lecture en devient laborieuse, et on se demande si une IA bien conçue n’aurait pas pu nous en tirer une synthèse en 10 pages, avec un petit algo de recuit simulé ou de deep learning, afin d’extraire les principaux points à retenir. Certes, ils sont mentionnés en début de rapport, mais on se demande, sur certains titres, si les rapporteurs n’ont pas fumé la moquette en proposant « Penser une IA plus vert », « Ouvrir les boîtes noires » ou « Rendre plus attractives les carrières dans la recherche »: on lit un rapport sur l’IA ou bien le programme d’un candidat un peu démago à une élection présidentielle, là?
Sans parler des raccourcis qui laissent pantois, tel ce passage sur le Technion (page 117), qui explique que si Waze a réussi à s’imposer et à se vendre à Google, c’est parce que « … les étudiants (du Technion) sont mis en situation de résoudre un problème et/ou créer un objet ou une fonction« . Ce n’est pas le rapport Villani, là, c’est Martine fait de la recherche en IA.
Ou encore de ces initiatives utopiques, comme celle (page 89) qui propose de mettre en place un super-calculateur spécifiquement pour les applications d’intelligence artificielle. Construit par qui? Avec quels moyens? Et si c’est un projet Européen, sera-t-il compétitif? On ne développe une industrie du hardware en 6 mois. Pour arriver à s’imposer dans ce domaines, la Chine ou les Etats-Unis ont investi des montants gigantesques, en appuyant des entreprises financées via des agences qui existent depuis des années et qui ont acquis une réelle compétence dans le choix et le financement de ces projets, comme le Darpa (cf. cet excellent livre sur l’état et l’innovation).
De la même manière, si le rapport expose assez bien l’enjeu autour de la maîtrise des données, il hésite parfois entre automatisation, intelligence artificielle et robotisation, reconnaissant « …qu’il est difficile de faire la part de ces trois domaines dans les évolutions du travail, il s’agit donc de les prendre comme un ensemble complexe afin d’analyser leurs effets ». C’est en effet LE problème de ce rapport. Penser qu’un rapport de cette taille sur l’IA serait utile, c’est probablement aussi utopique que d’imaginer qu’un rapport sur le développement de l’informatique dans les années 80 aurait permis d’imaginer le développement d’internet, de la musique en streaming, de la vidéo-surveillance ou d’Uber.
A quoi sert le rapport Villani? Probablement à rien de plus que dire qu’on s’est intéressé au sujet à un moment donné. Je doute qu’il en ressorte quoique ce soit de concret dans les prochaines années. Il serait temps que l’état cesse de croire que c’est en disant faites ceci ou faites cela que la recherche avance. La recherche avance quand on s’en donne les moyens, et il faut plus qu’un rapport pour y parvenir…
Le rapport Villani, un rapport en 6 parties et 5 focus sectoriels, disponible sur le site AI for Humanity.
- Partie 1- Une politique économique articulée autour de la donnée
- Partie 2- Pour une recherche agile et diffusante
- Partie 3- Anticiper et maîtriser les impacts sur le travail et l’emploi
- Partie 4- L’intelligence artificielle au service d’une économie plus écologique
- Partie 5- Quelle éthique de l’IA ?
- Partie 6- Pour une intelligence artificielle inclusive et diverse
- Focus 1 – Transformer l’éducation
- Focus 2 – La santé à l’heure de l’IA
- Focus 3 – Faire de la France un leader de l’agriculture augmentée
- Focus 4 – Une politique d’innovation de rupture dans le secteur du transport au niveau européen
- Focus 5 – L’IA au service de la défense et de la sécurité
Sur le même sujet:
- L’excellent article d’Olivier Ezratty
- Le blog transhumanisme et Intelligence artificielle
- Le blog de Vincent Olivier
- Le point de vue de Vincent Champain
- Le point de vue d’Alain Meller (Novaxone)
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Le lien de « Regardez ici » ne fonctionne pas (sur Explorer ou sur iPad):
http://view-source:https://www.aiforhumanity.fr/
Je suppose qu’il faut lancer https://www.aiforhumanity.fr/ puis afficher la source.
Exactement.
Le passage que tu cites de Villani est le résultat parfait et rigoureux d’un générateur de jargon comme il en existait avant (et sûrement après) internet: dans un tableau à x lignes et y colonnes tu places dans chaque cellule un fragment de phrase, et là tu composes un texte en extrayant successivement, de façon aléatoire, les contenants des cellules. Comme tu vois, pas besoin d’un algorithme sophistiqué, on a accès directement à l’IA. Un de tes excellents lecteurs devrait pouvoir nous faire cela pour notre plaisir et pour lédification des générations futures.
J’aime bien la notion de
« recherche agile et diffusante ».
Sans trop y voir rien de concret.