Affaire Naruto vs. Sapiens
La lecture des journaux réserve parfois des surprises d’une valeur inestimable. Ainsi en est-il du supplément culture du Monde du week-end dernier, qui relate l’affaire du macaque Naruto, affaire d’ailleurs déjà passablement relatée dans la presse en ligne l’an passé. Là où cela devient intéressant, c’est que loin de s’arrêter à l’histoire de Naruto, la journaliste, Catherine Vincent, apporte une profondeur d’analyse que je n’ai as retrouvée ailleurs.
L’affaire remonte à quelques années déjà. Un photographe, David Slater, laisse un appareil photo numérique quelque part dans la jungle indonésienne, à portée d’animaux. Un macaque, du nom de Naruto – du nom d’un célèbre manga, paraît-il – s’en empare, réalise une multitude de clichés au hasard, dont le photographe extrait une série de selfies originaux, comme celui ci-dessus. Slater décide alors de vendre ces photographies sur Internet, s’estimant l’auteur de ces portraits. Mais certains internautes ne l’ont pas accepté, et ont décidé de mettre ces photos de Naruto en accès libre sur Wikimedia Commons, estimant que c’était le singe qui était l’auteur des photographies, et non Slater. Fin du premier acte.
Au second acte, une association de défense des animaux, PETA, attaque le photographe, et réclame qu’il restitue les revenus issus de l’exploitation des droits des photographies, ou du moins qu’ils soient affectés à la défense d’espèces protégées, comme celle, semble-t-il de Naruto. Le tribunal s’est prononcé dernièrement et a débouté PETA. Les photographies restent dans le domaine public, et Slater peut garder ses revenus. Fin du second acte.
La journaliste du Monde aborde alors un aspect intéressant, en élargissant l’affaire Naruto à toutes les situations où un animal a été mis à contribution de manière active, pour la production d’oeuvres d’art. Elle cite ainsi des épisodes peu connus de la longue histoire des relations entre l’espèce humaine et une grande variété de représentants du règne animal, comme le chimpanzé Congo, peintre à ses heures perdues, tout comme le cheval Cholla, ou l’ours Juuso. Sans oublier quelques specimens d’éléphants, particulièrement doués pour représenter fleurs et autres natures mortes. En voici d’ailleurs quelques exemples.
Non, vous n’avez pas bu
Cet ours est un immense artiste
Les oeuvres de ce cheval coûtent plusieurs centaines de dollars!
On peut tirer deux conclusions de cette histoire. La première, c’est que finalement, nous savons peu de choses de nos amis les bêtes, et que sans y prendre garde, nous côtoyons, quotidiennement, d’immenses artistes en puissance. Le chien de ma voisine, par exemple, est sans doute un impressionniste talentueux, brimé par une maîtresse intransigeante sur l’ordre qui doit régner dans sa maison, et qui l’empêche d’exprimer tout son potentiel artistique…
La seconde, c’est que, décidément, le droit est un univers fabuleux. je n’ose imaginer ce qui se passera le jour où les robots feront partie de nos quotidiens, et que certains d’entre eux se livreront, à la demande de leur maître ou non, à la production d’oeuvres d’art. Qui pourra légitimement revendiquer les droits d’auteurs d’une photographie, d’une peinture ou d’une sculpture réalisée par son robot? Une seule solution: s’adresser à l’Association de défense des droits du robot … qui existe vraiment !
On vit – vraiment – une époque formidable. Merci Catherine Vincent, de nous l’avoir fait remarquer.
Découvrez d'autres articles sur ce thème...
Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Et les artistes qui exposent les poubelles des autres? A qui reviennent les revenus , aux Consommateurs Des produits ou aux artistes?
Aux fabricants des emballages 🙂
Excellent
Par les temps qui courent je suis très partagé entre ce que nous vivons et le caractère dérisoire de cette querelle juridique, l’information initiale ne manquant cependant pas d’intérêt ou de piquant.