Accident de télétravail
Il nous en aura fait voir de bonnes, ce covid. Entre confinement, passe sanitaire et télétravail, avouons qu’on a été gâté ces derniers mois. Mais le dernier gag de cette mauvaise blague planétaire, c’est cette affaire, qu’on finira peut-être par appeler Ibizagate. Elle touche un ministre qu’on pensait pourtant au-dessus du lot, le ministre de l’éducation nationale, ancien recteur, ancien directeur de l’ESSEC, sorte d’austère qui se marre mais en version de droite, pour reprendre l’illustre formule de Lionel Jospin.,
Que lui reproche-t-on ? Petit rappel des faits.
Nous sommes fin décembre 2021. En France, et un peu partout dans le monde, la vague Omicron s’emballe. Moins dangereuse, comme on finira par le comprendre, mais d’une ampleur qui semble supérieure à la première vague, du fait du nombre de tests réalisés tous les jours. Si le monde hospitalier prend peur, du côté des entreprises, un retour au télétravail est largement préconisé. Mais que faire des enfants ? Le premier confinement a montré les limites du télétravail avec des gamins à la maison.
Restez calmes, répond-on au ministère de l’éducation nationale. Tout a été prévu. Un protocole imparable a été mis au point, publié dès la première semaine de la rentrée scolaire. Un protocole que le ministre viendra lui-même expliquer sur les grands chaînes. Même si personne n’y comprendra rien. Et que les versions suivantes, loin de clarifier la situation ne feront que rendre la chose plus complexe.
Le protocole expliqué à mon boss
On connaissait la phobie administrative, avec un tel niveau de simplicité, il va falloir inventer une phobie administrative scolaire … Chez les parents, comme chez les enfants, c’est la panique. Cs de covid à l’école, que faire ? Un test ? deux tests ? un test tous les jours ? Et que faire si le test est négatif mais qu’on est convaincu d’être atteint ? Même constat chez les profs. Entre ceux qui se font porter pâle, ceux qui font cours à distance, et ceux qui se découvrent positifs en salle des profs, on nage en plein délire.
Les syndicats s’en mêlent. Manifestations, journée de grève, rien que du standard.
Mais l’affaire prend une tournure plus comique ce matin, alors que le Mediapart révèle qu’au moment de la révélation du nouveau protocole, le ministre était en vacances à Ibiza…
Ibiza, mode d’emploi
En soi, il n’y a rien de mal à passer un ou deux jours à Ibiza. Certes, la destination fait plutôt penser au royaume de la fête et de la nuit, qu’à celui des salles de prof et des conseils de classe. Mais un austère qui se marre, par définition, ça se marre de temps en temps. Et puis Blanquer, j’en suis sûr, n’a pas passé deux semaines à Ibiza. Tout au plus un weekend.
Et en plus, dixit son cabinet, il était en télétravail.
Ah, mais ça change tout. Ce qui n’était qu’un weekend de break prend une tournure de foutage de gueule. Quand un salarié part en vacances, je n’ai rien à dire, il a droit à ses vacances. Mais quand il prétend être en télétravail, pour ne pas qu’on lui décompte des jours de congés, moi je considère qu’il se paie ma tronche. Et celle de ses collègues. Et dans le cas qui se présente, celle de la France entière. Que ce fut à Ibiza, à Brive la Gaillarde ou à Ouessant, c’est le même tarif : quand il faut bosser, on bosse, et quand on fait un break, on fait un break. Et on ne prétend pas bosser. Cela relève, comme pour BoJo et Djoko, du devoir d’exemplarité.
J’ai déjà rappelé, sur ces pages, à plusieurs reprises, les propos de Jacques Attali, qui rappelait que le modèle social français tenait sur deux piliers : la santé et l’éducation. La bonne gestion de la crise Covid exigeait une attention particulière au niveau des deux ministères concernés. La pathétique Agnès Buzyn, heureuse récipendiaire d’une nouvelle médaille à la fin de l’année dernière, en a fait les frais, et on a gagné au change avec Olivier Véran. Jean-Michel Blanquer s’en sortait plutôt bien jusqu’à présent. Et un troisième larron, Bruno Lemaire, honoré d’une présence virtuelle inattendue dans le dernier Houellebecq, a montré que l’économie faisait aussi partie des piliers, ce qu’on pouvait attendre d’un gouvernement qui se prévaut du concept de startup nation.
Alliot-Marie, sors de ce corps…
Mais avec ce weekend à Ibiza, Blanquer vient de rejoindre, à l’insu de son plein gré, une catégorie de ministres dont Michele Alliot-Marie était une des dernières représentantes. Cette dernière avait payé le prix fort de son escapade tunisienne, deux semaines avant la chute de Ben-Ali.
Jean-Michel Blanquer connaîtra-t-il le même sort ?
Rien n’est moins sûr. Si on peut se permettre de virer un élève deux mois avant la fin de l’année scolaire, Si on peut aussi se permettre de séparer d’un prof défectueux, en avançant l’arrivé de son remplaçant, c’est plus délicat avec un ministre. En changeant de ministre avant une possible réélection, le président prendrait le risque d’user avant l’heure la personne qu’il aurait bien vu prendre la relève en mai prochain…
Il ne reste plus qu’à attendre le prochain conseil de classe…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec