Abstention, piège à cons
Je ne sais plus quel auteur français disait détester le suffrage universel, car son vote s’y trouvait mêlé avec celui de sa concierge (ou quelque chose dans ce genre; je crois qu’il s’agit de Marcel Proust). Cet auteur avait absolument tort. Mais peut-être se serait-il réjouit de cette époque formidable dans laquelle nous vivons, et qui permet de voter alors que plus personne ne vote, ou presque.
Il est vrai que les listes en présence n’incitaient pas forcément à se déplacer. Il est vrai que l’enjeu n’était pas de taille à mobiliser de nombreux électeurs. Quoi? Choisir des conseillers régionaux? Un président, un maire, passe encore, on voit à peu près de qui il s’agit. Mais un fonctionnaire obscur, dont le rôle se limitera probablement à approuver ou non la construction du lycée ou la réfection d’une départementale? Le français moyen n’a pas que ça à foutre, un dimanche de mars, avec un somptueux France-Italie (rugby) ou un grand prix de Bahreïn (F1).
Résultat: une abstention record, qui permet de tirer de rapides conclusions:
- Comme chaque fois que l’abstention est forte, le FN fait mal. Son électorat est peut-être l’un des derniers, en France, pour qui dans l’expression « droit de vote », le terme « droit » prend toute son importance. L’électeur FN sait se mobiliser. Et les dirigeants du FN reprennent des couleurs. Au total, le FN récolte 2 223760 voix. Une broutille, à peine 60% du nombre de voix qui étaient allées à Jean-Marie le Pen en 2007… Et si finalement l’impact du débat sur l’identité nationale était plus faible qu’on pourrait le croire?
- Comme pour chaque scrutin d’importance locale, le centre – ici le MoDem – s’écroule. 817 608 voix, c’est tout. En 2004, l’UDF s’était allié à l’UMP et au MPF, c’était déjà plus malin. Mais souvenez-vous, en 1998, l’histoire des alliances locales avec le FN: Charles Millon, Charles Baur, Jacques Blanc et Jean-Pierre Soisson? Génétiquement constitué de notables locaux, le « centre » est incapable de gagner des scrutins régionaux sur sa propre identité. Il lui faut des alliances, et c’est ce que François Bayrou a semble-t-il négligé. Cela ne signifie pas sa mort politique, bien au contraire, l’électeur français aime le come-back du perdant, de Mitterrand à Chirac. Mais dieu que a traversée du désert sera pénible…
- Du côté de l’UMP, le réveil est douloureux. A mon humble avis, le président paie ici le prix de sa stratégie d’ouverture plus que laborieuse: de Bernard Kouchner à Didier Migaud, on a l’impression que l’Elysée cherche plus à recaser l’ancienne gauche caviar, qu’à construire l’avenir de la France par une action construite avec ses propres représentants élus. Evidemment, au bout d’un moment, cela peut agacer…
- Enfin, si Martine Aubry peut faire la fière, Georges Frêche lui a montré qui était le maître dans sa région, et de quelle manière! Populiste, franchement antipathique dans sa manière de s’adresser à la presse ou à sa rivale socialiste, Frêche n’est ni plus ni moins que le digne représentant de ces barons locaux sur lesquels s’est construite l’identité de nos régions. C’est ce qui plaît à l’électeur, là-bas. Un électeur qui n’a absolument rien à foutre des déclarations de son élu (qu’il doit, au demeurant, trouver truculentes).
Reste encore un tour à passer. Un tour qui verra probablement une légère – très légère – motivation des électeurs. Mais n’en doutons pas, l’addition sera salée pour le parti présidentiel. Et le chef de l’état devra sans doute envoyer un signal clair pour montrer qu’il a compris le message que lui aura adressé la nation.
Et si au lendemain du second tour, Georges Frêche arrivait à Matignon?..
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
J’ai envie de rebondir en disant « élection, piège à con » ! J’ai fait partie des 52% qui ont préféré se détourner du bureau de vote plutôt que participer à ce simulâcre de démocratie et je ne permet pas (excuse Hervé !) d’être assimilé à un « con ». Mon choix est réfléchi, volontaire et assumé. Après avoir été longtemps un électeur assidu, j’ai cessé de mettre mon bulletin au 2è tour de la présidentielle. La politique est devenue un job où les ambitions s’affrontent. La grande différence avec avant, c’est qu’il n’y a plus de vision collective avec les ambitions des uns et des autres. Il n’y avait qu’à voir les Xavier Bertrand, JF Copé et Frédéric Lefebvre d’un côté et les A. Montebourg, L. Fabius de l’autre pour malheureusement s’en convaincre. Etre abstentionniste c’est envoyer (tenter d’envoyer !) un signal à ces roitelets de la langue de bois aux dents longues .. Et qu’on arrête de nous culpabiliser avec les pays où certains meurent pour pouvoir voter. Comparons ce qui est comparable ! De même avec le FN, cessons de nous faire peur gratuitement ! Ce parti est clairement détestable mais jamais il ne pourra gouverner à lui seul … Arrêtons d’invoquer l’excuse FN pour se forcer à élire des pitres qui n’ont aucune tripe, aucune conviction si ce n’est celle de prendre un pouvoir … local, régional, national pour satisfaire leur ego de puissance tout en oubliant la société autour …
Pas mal, comme titre provocateur, hein? En fait, « élections piège à con » était un des slogans en 68. Bien entendu, je respecte le choix de chacun et la liberté de s’abstenir ou de voter blanc. Mais d’un autre côté, je suis inquiet que le faible niveau des politiques (pas seulement en France) ait pour corollaire une participation de plus en plus faible de mes concitoyens aux débats nationaux. Et si les représentants des grands partis à la langue de bois bien rodée nous fatiguent, il ne tient qu’à nous de nous impliquer un peu plus dans la vie publique. Après tout, nous sommes nombreux à aider notre prochain, au sein d’association, via des démarches de crowdsourcing, etc. Pourquoi cela n’irait pas jusqu’à la vie politique à l’échelon local?
Bravo, je vote pour toi! Quel est le nom de ton parti ? Le PAF, Parti des abstentionnistes français?
Par contre, le web social, dont tu es l’apôtre, semble favoriser la superficialité / s’opposer à l’action concrète (http://christophe-faurie.blogspot.com/2010/03/fracture-numerique.html). L’abstention deviendrait-il la loi de la net generation?
Comme le dit Olivier, l’abstention semble, au moins pour certains, avoir été une décision longuement mûrie (http://www.lemonde.fr/elections-regionales/article/2010/03/15/j-irai-voter-lorsque-les-elus-feront-leur-devoir_1319724_1293905.html#ens_id=1318711). Généralement de rejet des hommes politiques.
Je regarde ça de loin (Suisse) je m’émerveille que vous parliez encore de taux d’abstention. Ici c’est le « taux de participation »… Il oscille autour de 40% depuis des années ( http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/17/03/blank/key/stimmbeteiligung.html ), et il est très rare que plus de 50% des suisses s’expriment, alors qu’ils bénéficient des droits de démocratie directe les plus étendus de la planète (sauf erreur).
Quand un compatriote m’avoue qu’il n’a pas voté, je lui dis « c’est pas grave, j’ai voté pour toi. Mais en échange, je te défend de parler politique jusqu’aux prochaines élections ou votations » (un helvétisme). L’abstention ne pose aucun problème en démocratie : qui ne dit mot consent. Que ceux qui veulent protester le fassent en votant blanc ou nul : dans certains systèmes (en France ?) le vote est ainsi au moins comptabilisé.
Cela dit, il existe des moyens de faire remonter la participation aux élections et votes. Dans le Canton de Genève, le taux de participation moyen est monté de 5% avec l’introduction du vote par correspondance généralisé : tous les citoyens reçoivent leur matériel de vote par la poste et peuvent remplir tranquillement leur bulletin et soit le renvoyer, soit le déposer à un bureau de vote quelconque (on donne une fiche avec un code barre reçue par la poste pour s’identifier). En attendant le vote par internet (à l’essai dans certaines communes), ça enlève déjà beaucoup d’excuses aux abstentionnistes. Je dois avouer qu’avec le soleil et la neige de ce week-end, moi non plus je n’aurais pas voté.
Bon en tout cas je ne tire aucune gloriole de m’être abstenu! C’est plus un geste d’énervement ultime qu’autre chose … D’autant que je connais un peu les coulisses de la vie politique pour m’en être approché plusieurs fois .. La dernière fois, c’était après la présidentielle de 2007 où pour la première fois de ma vie, j’ai pris la carte d’un parti ! Et puis voilà, j’ai vu que là aussi (malgré les déclarations) la vie démocratique ne régissait pas vraiment ce parti, que les apparatchiks n’en avaient rien à faire des nouveaux arrivants, qu’ils n’étaient pas près à leur accorder des responsabilités sauf à coller des affiches et distribuer des tracts au marché … Alors j’ai laissé tomber … Je suis toujours attentivement la vie politique car c’est la vie de mon pays, de ma région, de ma ville … Mais je désespère quand je vois des Lefebvre et Montebourg avoir encore autant droit de cité et de parole, eux qui ne visent que prébendes et ors de la république!