2006-2011: au revoir IBM
Au début du 21e siècle, les grands industriels des secteurs auto et aéro sont tous devenus de grands assembliers : ils font travailler une gigantesque chaîne de sous-traitance, répartie sur la planète : c’est aussi cela, la mondialisation. De fait, tous ces grands groupes disposent déjà de solutions de conception et d’une démarche PLM. La croissance, ce n’est plus chez eux qu’elle se réalise, mais chez les sous-traitants, souvent appelés à s’équiper de logiciels concurrents et soumis à des contraintes d’interopérabilité.
Mais ces sous-traitants sont souvent de petites ou moyennes entreprises : du bureau d’études à 3 personnes, à un sous-traitant de rang 2 de 500 à 1000 salariés. Pour vendre à ces entreprises, IBM n’est pas forcément le meilleur partenaire : structure commerciale efficace mais lourde et couteuse, IBM repose sur ses partenaires pour réaliser la vente auprès de ce secteur, appelé « SMB ». Et si DS gérait en direct cette population de partenaires, et développer son propre réseau de revendeurs ?
C’est ce que fait DS vers 2005-2006, en se séparant progressivement d’IBM ; en Asie et en Amérique du Sud, puis globalement, fin 2009. DS reprend la main sur les mêmes business partners, mais en direct. IBM n’est plus qu’un partenaire commercial comme un autre, qui vend du hardware et du service. Rien de plus. Une page est tournée.
De 2006 à 2008, DS va entreprendre une refonte globale de son système d’information, pour changer de modèle: d’un client principal appelé IBM, DS va devoir gérer, facturer, relancer des milliers de clients, de tailles et de secteurs différents, sur des dizaines de pays. Loi Sarbane-Oxley oblige, et DS étend cotée au NASDAQ, une rigueur particulière est imposée à ce système d’information, et DSF, dont je suis DSI, va servir de laboratoire pour la mise en place de ce nouveau système.
DS continue d’être une entreprise florissante, et ses revenus vont flirter avec les deux milliards d’euros. Bernard Charlès apparaît régulièrement dans le classement annuel des patrons les mieux payés (principalement en stocks options, ce qui posera un jour un problème aux investisseurs…), et l’entreprise va désormais quitter Suresnes pour s’installer à Vélizy, dans un campus tout beau tout neuf. Les acquisitions se poursuivent, dans des domaines variés, comme celle d’Exalead, la société créée par mon camarade François Bourdoncle.
Une autre page est tournée pour moi aussi. Je quitte DS en 2008 pour lancer blogAngels et Ekoz Technology, et ne suivrai la sortie de la V6 que de loin, sans vraiment comprendre s’il s’agit réellement d’une nouvelle architecture de produits, ou simplement d’un rebranding des logiciels V5. Cela, d’autres personnes vous l’expliqueront bien mieux que moi.
Retrouvez les articles précédents :
- 1981-1991: la 3D débarque dans les bureaux d’étude
- 1991-1996: la V4 et l’enjeu du paramétrique
- 1996-2001: la lente maturation de la V5
- 2001-2006: le défi du PLM
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Remarque : le « modèle » d’outsourcing de Boeing était récemment cité comme un désastre par The Economist. (Boeing a dû racheter des sous-traitants qui battaient de l’aile, et le Dreamliner a un nombre record d’années et de milliards de retard)
La photo n’a pas de légende. Illustre-t-elle ce qui arrive lorsque l’on part du paradis DS : on se retrouve, avec quelques camarades, dans un pays froid et soviétique ?
Le modèle d’outsourcing est un désastre, mais était-il évitable? Dans la logique de conquête de marchés de plus en plus autonomes (ex: Chine), Boeing n’avait-il pas besoin de s’adjoindre des partenaires locaux?
Mais je suis d’accord avec toi, quand on compare les délais de conception d’un avion comme la Caravelle ou le 707, pour lesquels on n’utilisait que le crayon et le papier, on peut se poser certaines questions. Reste, sans doute, que l’évolutivité et la complexité des appareils actuels n’ont rien à voir avec les premiers héros du transport aérien… Cf. l’excellent hors-série de Capital http://www.capital.fr/le-magazine/hors-serie/magazine-n-14 On y parle même des problèmes d’échanges de données entre deux versions d’un même logiciel (sans citer lequel, hein…) à l’origine des retards chez Airbus il y a quelques années…
En fait, j’ai étudié la question de l’outsourcing il y a 5 ans, quand je travaillais dans l’automobile. Le phénomène est très curieux :
Les Américains et les Français ont parié sur le tout externalisé. Surtout, ils ont sous-traité des savoir-faire critiques (la conception d’équipements). L’argument : différences de salaire, et, probablement, se débarrasser des syndicats. (En fait, le meilleur argument pour l’outsourcing est l’absence de droits de l’homme – avec tout ce que ça implique de normes – des pays en développement.)
La mise en oeuvre a été généralement désastreuse : projets confiés à des « juniors » (personne d’autre ne veut s’en occuper), pas de reconception des procédures occidentales (hyper automatisées pour éliminer au maximum la main d’oeuvre!) pour les pays émergents, pas de prise en compte des cultures locales (colonisés)…
Les Japonais et les Allemands ont conservé leurs savoirs clés. Les Allemands (je n’ai pas analysé le cas japonais) ont sous-traité au coup par coup. à chaque fois, ils ont mené les projets à l’allemande : projets encadrés par leurs meilleurs personnels, reconnaissance de terrain, pour identifier les meilleurs partenaires…
La différence est culturelle. Dans les cas américains et français les entreprises sont dirigées par des gestionnaires qui ne connaissent pas le métier de l’entreprise, les relations internes sont conflictuelles…, dans le cas allemand, les dirigeants sont issus de l’organisation, et il y a un certain consensus social (dans les exemples que j’ai étudiés, les employés, dirigeants en tête, réduisaient leurs salaires pour éviter des licenciements).
En ce qui concerne la complexité de la conception, d’après les gens que j’ai rencontrés, elle serait moins à l’origine des retards qu’un défaut d’organisation, qui est le fondement du métier.
La faute aux MBA alors? Et le déclin de l’ingénieur franco-américain?
2011/8/15 Disqus
Ou phénomène de société?