Le rapport Gallois (sur la compétitivité de l’industrie française)
Le rapport sur la compétitivité de l’industrie française, dit « rapport Gallois », est disponible depuis cet après-midi sur le site du gouvernement. On peut le télécharger au format PDF depuis le lien suivant. C’est un document de 74 pages, agrémenté de quelques tableaux en fin de document, qui formule vingt-deux propositions visant à améliorer la compétitivité de l’industrie française. Je m’en suis livré à une lecture détaillée ce soir, donnant l’occasion d’un petit live-tweet nocturne, et je vous propose un résumé de ce document très accessible.
Note: merci à Frédérique Barteau et Emmanuel Humeau pour m’avoir dirigé vers le bon lien dès sa publication.
L’annonce sur le site du gouvernement est plutôt laconique: Louis Gallois, commissaire général à l’Investissement, a remis son rapport « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française » au Premier ministre, lundi 5 novembre 2012 à l’Hôtel de Matignon. Ce rapport a été élaboré avec l’aide deux de rapporteurs adjoints, l’un Clément Lubin est X-Mines, l’autre Pierre-Emmanuel Thiard est énarque inspecteur des finances (fait intéressant, ces deux rapporteurs ont un profil LinkedIn, comme quoi c’est devenu un outil standard même auprès des grandes administrations).
Photo : Benoit Granier / Matignon
Le rapport lui-même est composé de 5 parties, dont nous allons suivre la structure.
1- La cote d’alerte est atteinte
Le rapport rappelle que le décrochage de l’industrie française ne date pas d’hier, et qu’il s’est accéléré ces dix dernières années. Le rapport rappelle quelques éléments chiffrés pour cela. Pour les gens de ma génération, nul besoin de s’y référer, il suffit de comparer l’origine des produits industriels française que nous consommions il y a 30-40 ans, et ceux d’aujourd’hui: télévisions, automobiles, vêtements, nous ne consommons pratiquement plus français, déjà à l’intérieur de nos frontières. Imaginez donc le niveau de nos exportations… L’industrie française, rappelle le rapport, est malheureusement cantonnée dans un positionnement « milieu de gamme », tant en qualité qu’en innovation, avec des coûts de production restés élevés. Il y voit plusieurs raisons: 1- une formation initiale pas suffisamment orientée vers les besoins industriels, mauvaise image de l’industrie en général 2- le recul des financements privés et la faible part de l’épargne pour financer l’industrie 3- la faiblesse de la structuration et de la solidarité industrielles 4- un dialogue social basé sur la méfiance réciproque. Pourtant, cette partie s’achève sur une note optimiste: la France dispose d’atouts (pôles d’excellence, bon niveau de R&D, une bonne productivité horaire, une qualité de vie indéniable). Alors?
2- Une ambition industrielle: la montée en gamme
Sans faire de préconisation sectorielle, le rapport distingue trois axes essentiels pour faire croître la compétitivité de l’industrie française:
- Jouer la montée en gamme, l’innovation et la productivité ;
- S’appuyer sur ce qui marche ;
- Renforcer les partenariats et les synergies entre tous les acteurs de l’industrie.
Le premier lot vise à établir le contexte qui permettra cette croissance. Il s’agit d’établir des perspectives de stabilité pour les industriels. Stabilité des dispositifs, notamment, comme le CIR ou le statut de JEI. Passons sur le commissariat à la prospective, qui ne restera pas bien longtemps inscrit dans nos mémoires. Le rapport propose de transférer une partie significative des charges sociales – de
l’ordre de 30 milliards d’euros, soit 1,5 % du PIB – vers la fiscalité et la réduction des dépenses publiques, par exemple par le biais d’allègement non plus cantonnés aux salaires les plus bas, mais jusqu’à 3,5 fois le SMIC. Bien sûr, et le rapport le rappelle, le produit du « choc de compétitivité » doit être clairement orienté vers l’investissement et l’innovation, et non utilisé, pour des distributions de dividendes
Le rapport passe ensuite rapidement sur le coût de l’énergie, un atout à préserver selon lui, passage en faveur du gaz de schiste, comme une des voies à une diminution de la part du nucléaire, dans la transition énergétique qui s’engage.
La montée en gamme passe également par une progression des exportations, qui doivent devenir une priorité nationale. Le rapport propose quatre orientations, et souhaite inciter les grandes entreprises à soutenir les entreprises de leurs filières à l’exportation. L’innovation n’est pas le parent pauvre de cette démarche de montée en gamme: le rapport préconise de sanctuariser le budget de la recherche publique et celui du soutien à l’innovation sur la durée du quinquennat. L’état est également sollicité pour montrer l’exemple, en instituant un objectif de 2% des achats de l’état pour la part des innovations.
Enfin, cette partie s’achève en rappelant la nécessité d’intensifier et d’accélérer la collaboration entre les différents acteurs – structures publiques de recherche, entreprises, grands groupes, ETI, entreprises innovantes – et le transfert de la recherche vers l’innovation et ses applications industrielles
3- La structuration et la solidarité du tissu industriel : faire travailler les acteurs ensemble
L’un des objectifs du rapport est de faire progresser le nombre d’ETI (entreprises de tailles intermédiaires), véritable talon d’Achille de l’industrie française. Il rappelle les raisons pour lesquelles trop peu de PME atteignent ce stade d’ETI, parmi lesquelles… l’attirance de certains jeunes entrepreneurs pour les gains associés à la vente de leur entreprise: amis #pigeons, c’est pour vous 🙂 Le rapport propose d’établir un « Small Business Act », comme bien d’autres rapports l’ont proposé par le passé…
Le rapport fait également de nombreuses propositions pour renforcer la solidarité des filières industrielles, ainsi que les solidarités territoriales. Solidarité entre grands groupes et PME innovantes, pôles de compétitivité, rien de neuf sous le soleil.
4- Les leviers de la politique industrielle
Cette partie du rapport met le doigt sur un sujet auquel je suis particulièrement sensible: le besoin de rapprocher la formation initiale aux besoins des entreprises, et notamment aux besoins industriels. Je me souviens du discours entendu à mon arrivée à Palaiseau, lors duquel Bernard Esambert nous initia au concept de guerre économique. Près de trente années plus tard, je me demande s’il a vraiment été compris, quand je constate le nombre d’X partis faire carrière dans la finance plutôt que dans l’industrie… Mais le rapport ne s’intéresse pas tant à ce type de formation. C’est surtout sur les formations en alternance et sur la formation continue qu’il insiste.
Les auteurs du rapport rappellent également que la curiosité scientifique s’estompe. Ce passage est fort instructif, et je me permets de le reproduire in extenso.
Nous ne voudrions pas clore ces développements sur la formation sans évoquer la culture scientifique et technique. La formation initiale des jeunes doit, plus qu’elle ne le fait actuellement, les conduire à s’orienter vers les métiers de l’industrie. Nous avons vu que les formations techniques ont une image peu valorisée dans le secondaire. Les grands enjeux de la science sont insuffisamment explicités. La curiosité technique s’estompe. Plus grave encore, la notion même de progrès technique est trop souvent remise en cause à travers une interprétation extensive – sinon abusive – du principe de précaution et une description unilatérale des risques du progrès, et non plus de ses potentialités. Le principe de précaution
doit servir à la prévention ou à la réduction des risques, non à paralyser la recherche ; il doit, au contraire, la stimuler. Fuir le progrès technique parce qu’il présente des risques nous expose à un bien plus grand risque : celui du déclin, par rapport à des sociétés émergentes qui font avec dynamisme le choix du progrès technique et scientifique, tout en n’étant pas plus aveugles que nous sur les nécessaires précautions.Retrouver le goût et l’optimisme de la science et de la technique est une responsabilité majeure que partagent tous les acteurs de la société : responsables politiques, médias, corps intermédiaires, entreprises, enseignants. L’État doit, quant à lui, impulser le mouvement et fédérer les initiatives.
Le dynamisme du financement de l’industrie est également un sujet de préoccupation. Regrettant le désinvestissement du tissu bancaire et des fonds issus de l’assurance (flinguant au passage Bâle III et Solvency II…), il rappelle que le crédit inter entreprises est cinq fois supérieur au crédit bancaire de trésorerie. En clair, nos PME sont non seulement pénalisées par des coûts élevés, par des prix bas, mais aussi par une pression intenable sur la trésorerie (délais de paiement, commandes confirmées tardivement, etc.). Le rapport souhaite vivement inciter le secteur de l’assurance à participer à l’effort de redressement économique.
En fin, le Commissariat Général à l’Investissement voit son rôle confirmé et renforcé. Il devrait porter trois priorités selon les auteurs:
- le développement et la diffusion de technologies génériques (« il n’y a pas d’industrie dépassée ; il y a des technologies dépassées !« )
- la santé et l’économie du vivant
- la transition énergétique
5- Pour une politique industrielle européenne
C’est la partie qui m’a le moins intéressé, ou du moins le moins convaincu. Regrettant l’absence de politique européenne de l’énergie, le rapport se réjouit d’un PCRDT de 80 milliards d’euros, contre 56 pour le précédent. Personnellement, j’ai dû mal à voir l’influence de l’Europe dans le développement de l’industrie française. L’ère des grands programmes européens me semble révolue.
6- Pour un nouveau pacte social
Le rapport s’achève sur le besoin d’un nouveau pacte social: celui sur lequel s’est construite la France d’après-guerre ne tient plus, il faut le faire évoluer. Cela demande des relations de confiance entre les partenaires sociaux. Trois axes de travail majeurs sont identifiés: le financement de la protection sociale, les institutions représentatives du personnel, la sécurisation de l’emploi.
La conclusion de ce rapport est un appel à toutes les forces vives et à l’effort, sur une note d’optimisme; Ce n’est pas du Churchill, mais cela vaut la peine qu’on le rappelle, là aussi je me permets de reprendre les dernirèes lignes.
La reconquête de la compétitivité demandera du temps et des efforts ; elle remettra en cause des situations et des postures établies. Mais dès lors que le diagnostic est partagé, que le déclin actuel est jugé par tous inacceptable, cette reconquête peut être un formidable projet collectif.
Jouer l’innovation et la qualité, l’esprit d’entreprise et la prise du risque, rompre les barrières et travailler ensemble, mettre en valeur les compétences et (re)donner le goût du progrès technique, ouvrir de nouveaux espaces de dialogue et stimuler l’intelligence collective. Il y a là tous les ingrédients pour mobiliser les forces vives du pays et, en particulier, la jeunesse. C’est de là que viendra la confiance, l’optimisme et donc le succès.
Au final, c’est moins aride et moins dense que le rapport Attali et ses 245 pages, établi en 2008 à la demande du précédent président de la République. L’industrie française avait certes besoin d’un tel rapport, mais n’est-il pas (déjà) trop tard?…
De nombreux autres blogs parlent du rapport Gallois, entre autres:
- Le citoyen engagé
- Le blog Sarkofrance
- Moissac au coeur
- Analyse libérale
- Le blog de Guy Sorman
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Sympa de faire un compte-rendu.
Ce rapport va-t-il transporter les foules ?
Distingue-t-il des causes ou des symptômes?
Non, certainement pas les foules. Mais s’il arrive à faire bouger les idées auprès des décideurs, rêvons un peu.
Causes ou symptômes, les deux mon capitaine. Son analyse du déclin par la baisse de la qualité des investissements et de la production est intéressante.