Les 100 ans de la liqueur de Dakin
Parmi les centenaires fêtés cette année, signalons celui d’un produit qui peut vous paraître anodin, mais dont la découverte fut une véritable révolution en matière de santé publique: la liqueur de Dakin. L’invention de ce puissant antiseptique encore utilisé de nos jours est un peu le fruit du hasard, celui d’une rencontre entre un chirurgien français, Alexis Carrel, et un chimiste anglais, Henry Drysdale Dakin.
(crédits photo: Washington university school of Medicine)
Né en 1873, Alexis Carrel s’intéresse très tôt à la suture vasculaire, qui lui vaut le prix Nobel de médecine 1912. Mobilisé volontaire lors de la première guerre mondiale, il découvre l’horreur des hôpitaux militaires ou gangrènes et amputations sont le lot quotidien des médecins appelés à traiter les blessés. A cette époque, la désinfection n’existe pas vraiment: teinture d’iode, alcool, voire sel de cuisine. Carrel a alors l’intuition que pour traiter les infections bactériennes, il lui faut un agent chimique puissant, non toxique et peu irritant. De plus, sa préparation doit être aisée, de manière à pouvoir être mis en oeuvre un peu partout sur le front.
Paradoxalement, c’est par le biais de la fondation Rockfeller, auprès de laquelle il a travaillé avant-guerre, qu’il va pouvoir non seulement obtenir un laboratoire pour mener ses travaux, mais aussi se faire accompagner par un chimiste, Henry Dakin. Début 1915, celui-ci met au point, après plusieurs dizaines de tests infructueux, une solution d’hypochlorite, qui répond aux exigences des deux savants. Le processus de fabrication est ensuite industrialisé auprès des établissements Poulenc.
Ce qui est dingue, c’est que le corps médical se montre peu favorable au développement des idées de Dakin et de Carrel. Les cultures de pus traitées à l’aide de liqueur de Dakin ne donnent en effet pas de résultats extraordinaires. Mais Dakin et Carrel s’obstinent, pour eux, les cultures de pus ne reproduisent pas fidèlement les conditions réelles d’une plaie infectée. Des médecins de campagne se mettent ainsi à essayer le produit inventé par les deux savants, dès la fin 1915, avec des résultats très positifs. Et c’est ainsi que la liqueur de Dakin est apparu, contribuant à sauver de l’amputation, ou d’une mort terrible, de nombreux combattants.
Après guerre, Dakin retourne aux Etats-Unis où il poursuit sa carrière de chercheur expérimental. Alexis Carrel, quant à lui, se fourvoie quelques années plus tard. Partisan de l’eugénisme, il adhère au PPF de Jacques Doriot, et se retrouve propulsé par Pétain à la tête d’une fondation en charge de l’étude des mesures à adopter pour améliorer la population française…
Pour creuser le sujet:
- l’excellent article d’Eric Satori paru dans La Recherche
- l’article paru dans le Figaro, sur l’exposition l’Armée qui soigne
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec